IMMACULÉE CONCEPTION 2014
(Gn 3,9-15.20 ; Ps 122 ; Ep 1,3-6.11-12 ; Lc 1,26-38)
« JE SUIS L’IMMACULÉE CONCEPTION »
« Quelle joie quand on m’a dit, allons à la maison du Seigneur ». Ces mots sont ceux du chant joyeux des pèlerins de Jérusalem à leur arrivée devant le Temple (Ps 122,1). Les pèlerins de Jérusalem étaient en joie parce qu’ils arrivaient en présence de Dieu dans la ville sainte. Comme ces pèlerins de Jérusalem, nous sommes joyeux d’être ici à Ngukomba. Notre coeur est plein de joie à cause de la présence de Dieu qui remplit cette montagne de Ngukomba. Le Christ est ici et c’est Lui qui fait notre joie. C’est lui qui fait la joie de notre Eglise ; cette église du large qui est allée au-delà de la peur pour se mettre en route à la rencontre de notre Mère, l’Immaculée Conception.
Chers frères et soeurs,
Le Pape Jean XXIII a dit : « Quand on a une maman, on a tout ». Cela est vrai pour la vie quotidienne. Mais cela est aussi vrai pour la vie spirituelle. Sans Marie comme mère, la vie chrétienne, notre vie du disciple n’a pas de sens. Sans Marie comme mère, nous manquons de chaleur, de soins, de sécurité et d’amour. Sans Marie, nous manquons de modèle.
Aujourd’hui, sur le chemin de Noel, nous marquons une étape importante. Nous nous arrêtons pour célébrer dans la joie et la lumière la solennité de l’Immaculée Conception. Anne et Joachim, les parents de Marie sont à l’honneur. Mais la gloire est à Dieu qui comble Marie de sa grâce. Jésus Christ Sauveur est au centre de cette célébration parce que Dieu a préparé Marie à être sa future mère.
Aujourd’hui, nous contemplons l’oeuvre merveilleuse et gratuite de Dieu en Marie. Nous célébrons la gratuité absolue du don de Dieu. Nous reconnaissons Marie comme la « fille de la grâce » qui crie plus haut que Paul : « C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis, et sa grâce à mon égard n’a pas été stérile » (1 Co 15,10). L’immaculée conception. Qu’est que cela signifie ?
Le nom « Immaculée Conception » fut une énigme pour la jeune Bernadette lorsqu’elle l’avait entendu de la bouche de la vierge au cours d’une apparition à Lourdes. Bernadette SOUBIROUS, la bergère illettrée de 14ans, était obligée de redire ce nom à chaque pas pour ne pas l’oublier avant de le communiquer à son curé.
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Aujourd’hui encore, le nom fait difficulté et beaucoup confondent Immaculée Conception et Maternité Virginale. En se proclamant « Immaculée Conception », Marie se fait connaître à l’Église en utilisant la langue de l’Église. Elle montre que le pape Pie IX avait agi selon la vérité de foi en définissant quatre ans plus tôt (1854), son privilège unique en ces termes : « La Bienheureuse Vierge Marie a été, au premier instant de sa conception, par une grâce et une faveur singulière du Dieu tout-puissant, en vue des mérites de Jésus-Christ, Sauveur du genre humain, préservée intacte de toute souillure du péché originel… ». La proclamation de cette vérité de foi a sa racine dans la tradition qui invoquait déjà la Vierge comme « sainte Marie, Mère de Dieu ». Selon le Dogme de l’Immaculée Conception, Marie est née intacte. Elle est une créature déjà préservée et sauvée du péché et de ses conséquences. La Vierge sauvée par avance du péché et de ses conséquences annonce la réussite de l’oeuvre de salut. Elle est le signe du renouvellement de la création et d’un nouveau commencement, l’aurore de la nouvelle humanité. Elle bénéficie du plus grand privilège jamais accordé à une femme dans l’histoire du salut.
Néanmoins, à l’Immaculée Conception, nous ne célébrons pas seulement la sainteté de Marie. Cette fête nous rappelle aussi notre régénération par le baptême et notre vocation à la sainteté. « Soyez saints car moi le Seigneur votre Dieu je suis saint » dit le Seigneur en Lev 19,2. La sainteté signifie d’abord accueil des dons de Dieu (dons de foi, d’amour, de vie, de miséricorde et de service de ses frères et soeurs). Saint Paul dans la deuxième lecture (Ep 1,3-12), rappelle notre vocation à la sainteté. Pour lui, depuis toujours et avant la création du monde, sans aucun mérite de notre part, « Dieu nous a bénis et choisis dans le Christ pour que nous soyons dans l’amour, saints et irréprochables sous son regard… ». Si Dieu nous a choisis pour être saints, la sainteté est notre engagement, la tâche que Dieu nous a confiée, et que nous devons réaliser chaque jour.
Qu’est-ce que notre baptême a changé dans notre manière de vivre ? Quelle attitude avons-nous vis-à-vis de Dieu ? Que faisons-nous des dons reçus de Lui ? Comment nous comportons-nous à l’égard de nos frères et soeurs ? Vous souvenez-vous, chers frères et soeurs ? Vous souvenez-vous d’avoir rejeté le diable et ses manières le jour de votre baptême ? Pourquoi, avons-nous encore tant de peine à nous démarquer du mal et de ses agents ? Pourquoi continuer à nourrir la haine, la vengeance et la destruction ?
Chers frères et soeurs, dans la finale de la première lecture, Adam appelle sa femme « ‘‘Êve’’, c’est-à-dire la ‘‘vivante’’, parce qu’elle fut la mère de tous les vivants » (Gn 3,20). Ce nom est un acte de foi à la vie vécue et transmise par la mère en union avec le père. Il est donné à la première femme après que Dieu ait prononcé le jugement miséricordieux qui annonce les sanctions de la première désobéissance. Celle qui prend sa source dans le péché d’orgueil, d’envie et de méfiance.
En effet, se méfiant de Dieu et de sa parole, l’homme et la femme ont préféré obéir au serpent qui leur a promis deux choses : 1) la possibilité d’une expansion de la nature humaine au-delà des limites que Dieu a fixées lors de la création ; 2) l’intensification de la vie, non seulement dans le sens d’un enrichissement intellectuel, mais dans le sens d’une maîtrise des secrets qui dépassent l’homme. Le serpent tentateur représente l’idole type. Il apparait à ses victimes dans un décor magique. Le voyant, Adam et Êve pensent pouvoir acquérir le savoir propre à Dieu en cédant à des procédés magiques comme celui consistant à manger du fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal.
Leur transgression traduit leur refus d’être ce qu’ils sont. Leur transgression traduit leur volonté de s’arroger une prérogative divine ; la prérogative de décider de ce qui est bien ou mal indépendamment de la Loi de Dieu. Ils veulent devenir dieux sans Dieu et même contre Dieu. Ils veulent renverser l’ordre des valeurs, déclarant bien ce qui est mal et mal ce qui est bien. Is 5,20 dénonce ce péché radical : « Malheur à ceux qui appellent le mal bien et le bien mal ». Mi 6,8 révèle l’attitude que devrait avoir tout homme :
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« " On t'a fait savoir, homme, ce qui est bien, ce que Yahvé réclame de toi : rien d'autre que d'accomplir la justice, d'aimer la bonté et de marcher humblement avec ton Dieu. "». Am 5,14 ajoute : « Recherchez le bien et non le mal, afin que vous viviez, et qu'ainsi Yahvé, Dieu Sabaot, soit avec vous, comme vous le dites ».
Après la désobéissance, Adam et Êve découvrent la tromperie. « Leurs yeux s’ouvrirent à tous deux », sans qu’ils ne deviennent divins. Dieu s’approche d’eux pour engager un dialogue avec eux. Pris de peur, le couple se cache, cherche à couvrir sa nudité, symbole de sa culpabilité, sa honte et son insécurité. Dieu commence son interrogatoire par une question simple à Adam : « Où es-tu ? ». Où es tu mon frère ? Toi qui te caches derrière le péché et la honte qui te dévorent ? Le Seigneur vient te chercher. Il vient te chercher, toi. Il vient t’appeler en ton nom.
- Où es tu, toi le jeune qu’on a armé, drogué et envoyé pour voler, tuer, bruler des villages ? Sors de ces groupes armés, déposes ton arme et reprends le chemin de la formation pour te construire et participer au développement de la Centrafrique.
- Où es tu, toi le chef de milice qui manipule, t’enrichit sur le dos des pauvres en semant la peur, la mort et la désolation ? Sors de la rébellion ! Viens faire acte de contrition pour te réconcilier avec ta communauté et retrouver la paix du coeur et de l’âme.
- Où es tu, toi la mère ou la soeur qui entretient le feu de la confrontation armée par tes mensonges et tes incitations à la haine et à la division ? Sors de ta colère et de ton désir de vengeance pour dire désormais les mots de la paix, du pardon et de la réconciliation. Ainsi, tu engageras tes enfants et tes frères sur le chemin du bien.
- Où es tu, le politicien qui te cache derrière le prétexte d’une crise prétendument religieuse pour assouvir ton désir de vengeance personnelle et conquérir le pouvoir par la violence ? Sors de là, revois ton projet politique et ton engagement pour un mieux être de ce peuple qui ne connaît que la brimade depuis trop longtemps déjà.
- Où es tu, toi qui fournis les armes et te caches derrière les groupes armés pour te positionner et avoir des parts de marché ? Où es tu ? où es tu ? Où es tu ?
Le Seigneur vient te chercher. Il te parle. A toi comme à Adam et Eve, il vient proposer des lois pour t’aider à vivre en harmonie avec tout homme, en paix, en liberté et grandir en humanité. A toi, il dit : « Un seul Dieu tu adoreras » ; « ne tues pas » ; « honore ton père et ta mère » ; « Tu n'auras pas dans ton coeur de haine pour ton frère » (Lv 19,17) ; «Tu ne te vengeras pas et tu ne garderas pas de rancune envers les enfants de ton peuple. Tu aimeras ton prochain comme toi-même » (Lv 19,18). Que faisons-nous des commandements de Dieu ?
Dans sa seconde réponse à Dieu qui le questionne, l’homme dénonce et trahit la femme. Il se désolidarise de la faute et tend à mettre la charge sur Dieu : « C'est la femme que tu as mise auprès de moi qui m'a donné du fruit de l'arbre, et j'ai mangé !» (Gn 3,12). Cette réponse paraît un reproche contre Dieu en qui l’homme voit la cause dernière de ce qui est arrivé. C’est aussi le signe d’une communion brisée entre les humains. Le péché commis ensemble n’a pas uni, mais isolé Adam et Êve devant Dieu. Le Seigneur se tourne alors vers la femme et lui demande : « Qu'as-tu fait là ?». La femme fuit sa responsabilité et dit à Dieu : « C'est le serpent qui m'a séduite, et j'ai mangé » (Gn 3,13).
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Le dialogue de Dieu avec Adam et Êve éclaire ce que nous vivons en ce moment dans notre pays. On tue, on brûle les maisons, on fait des enlèvements, mais on accuse toujours l’autre d’être responsable. On ne commence pas encore à s’interroger sur sa part de responsabilité. On juge l’autre. On le condamne. Les auteurs de crimes odieux n’ont pas honte, ni peur, ni sentiment de culpabilité.
Dans son verdict, Dieu respecte la liberté d’Adam et Êve, les condamne et leur donne la possibilité de se convertir. La condamnation touche différentes sphères de la vie humaine : sexualité et mariage, naissance et mort, travail et nourriture, relation entre les hommes et le monde animal. Dieu manifeste sa miséricorde à l’homme et à la femme de plusieurs manières : Adam et Êve ne sont pas anéantis, ni maudits ; Dieu vient à leur aide en leur confectionnant des vêtements de peau, signe qu’il ne les abandonne pas ; il annonce qu’ils auront une postérité ; Adam et Êve mourront mais survivront à travers leurs descendants ; la domination du serpent sera vaincue par la descendance de la femme.
Chers frères et soeurs, Marie est affranchie de toutes les conséquences que le péché a introduit dans la nature humaine héritée d’Adam et Êve : ni inclination au mal, ni déséquilibre entre la sensibilité et la raison, ni désharmonie entre le corps et l’âme. L’être de Marie tout entier est orienté à l’amour gratuit de Dieu. Néanmoins la vie qui s’inaugure à l’Immaculée Conception est une vie progressive dans la lumière et l’obscurité de la foi. Le privilège de l’Immaculée Conception ne diminue pas la liberté de Marie. À l’annonciation, elle délibère, s’informe, afin de mieux dire le « oui » qui est attendu d’elle dans un projet où la gloire de Dieu et le salut des hommes sont engagés.
Dans l’évangile que nous avons écouté (Lc 1,26-38), la double intention de l’évangéliste Luc est de mettre en lumière la conception virginale de Jésus et son origine divine. Au début de l’évangile situé entre l’annonce de la naissance de Jean-Baptiste à Zacharie et la Visitation d’Elisabeth, Dieu par l’ange Gabriel révèle la mission qu’il confie à Marie : « Sois sans crainte, Marie ; car tu as trouvé grâce. Voici que tu concevras dans ton sein et enfanteras un fils, et tu l'appelleras du nom de Jésus. Il sera grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu lui donnera le trône de David, son père ; il régnera sur la maison de Jacob pour les siècles et son règne n'aura pas de fin » (Lc 1,30-33). Avant de lui faire cette grande révélation, l’ange donne un très grand nom à Marie : « comblée de grâce » qui signifie « favorisée de Dieu ». Souvent Dieu change le nom de celui à qui il confie une mission importante (Abraham, Pierre, Paul…).
Le nom « comblée de grâce », indique que Marie est inscrite dans une destinée universelle. Avec la grâce de l’Immaculée conception, Marie est la première créature à bénéficier du rapport positif que le Christ a établi avec le Père avant même son Incarnation. L’oeuvre de Dieu en Marie est absolument gratuite. Le nom « comblée de grâce » est suivi de l’expression « le Seigneur est avec toi » qui souligne l’assistance que Dieu accorde à ceux à qui il confie une mission importante : juges, rois, prophètes, prêtres. Le résultat de l’action de Dieu en Marie est merveilleux : une nouvelle création. Dieu fait de Marie le « Temple de Dieu », le « sanctuaire de l’Esprit Saint », « la femme du oui au Seigneur » pendant toute sa vie.
Marie immaculée est le signe que Dieu n’a pas abandonné l’homme à lui-même, mais le sauve à travers son Fils, lieu d’une nouvelle rencontre entre le ciel et la terre, entre la sainteté et la fragilité, entre Dieu et l’homme. Êve a rallié son mari Adam à sa révolte contre Dieu. Maintenant, c’est Marie qui va s’associer à son mari Joseph pour réaliser dans l’obéissance le dessein transcendant de Dieu pour le salut des hommes. Marie s’est laissée façonnée et habitée par la Parole de Dieu. Contrairement à Êve qui a désobéi au commandement de Dieu, le récit de l’annonciation se termine par la réponse favorable de Marie à l’ange prononcée avec une foi humaine, intelligente et proportionnée : « " Je suis la servante du Seigneur ; qu'il m'advienne selon ta parole ! "» (Lc 1,38). La foi de Marie se traduit par une espérance et un engagement abandonnant tout projet personnel. Marie est servante du Seigneur comme Abraham, Moïse, David… …/… 5
Une telle disponibilité montre qu’elle s’est déjà préparée intérieurement. Par elle, nous sommes tous aimés du Seigneur. Avec elle, nous sommes comblés de grâce. La grâce du verbe, celle de la parole à promouvoir dans le dialogue entre factions, dans nos communautés et nos familles. Nous ne pouvons plus, aujourd’hui, attendre trop longtemps de nous mettre aux pieds de l’arbre à palabre pour traiter du problème centrafricain entre centrafricain. C’est pourquoi, nous soutenons l’idée d’un dialogue national. Mais ce dialogue doit être initié à la base de notre société. C’est dans les villages et les villes que nous pouvons porter à terre les semences d’une Centrafrique réconciliée avec elle-même, une Centrafrique qui a pris conscience de ses erreurs et qui prend l’option de les corriger pour se relever.
Alors, pourrons-nous accueillir la grâce de la réconciliation et de l’unité qui font les peuples solidaires, forts face à l’épreuve et heureux. Faisons-nous à nouveaux à l’idée de vivre en harmonie avec tous nos frères. Ceux qui parlent comme nous ou pas. Ceux qui mangent comme nous ou pas. Ceux qui habitent dans le même quartier que nous ou pas.
Nous avons encore sous les yeux tout le mal et la destruction que la confrontation et la désunion peuvent occasionner. Le moment est venu de s’arrêter. De faire place à la grâce du pardon reçu aujourd’hui pour tourner la page, se revoir à nouveau dans les yeux et marcher à nouveau ensemble. Nous souhaitons tous le retour de la paix pour permettre à chacun de vivre de son travail et d’élever ses enfants. Cette paix ne sera jamais de retour si nous ne pardonnons pas.
Avec Marie, nous pouvons être comblés de la grâce de la vérité. Celle qui nous interdit de faire courir les rumeurs, de mentir aux autres, de les détourner des vrais problèmes pour les plonger dans la haine, le désordre.
Chers frères et soeurs,
Notre responsabilité en temps de crise est d’être des artisans de paix et d’unité, des messagers d’amour et de vérité, les promoteurs du pardon et de la non-violence, les semeurs de la persévérance et de l’espérance.
Que la Vierge, mère de l’Oubangui, soit pour chacun une mère toujours disponible… Comme Marie, rendons-nous disponibles à accueillir l’impulsion que l’Esprit saint donne à notre capacité d’agir et de sentir. Qu’avec Marie, nous collaborions à la construction d’une Centrafrique plus paisible, plus unie et plus fraternelle.
Que l’Immaculée Conception nous dirige tout au long de notre pèlerinage de foi.
Amen !