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Lu pour vous : «Ce moment était anticipé par le pouvoir»

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JEAN-LOUIS LE TOUZET29 OCTOBRE 2014 À 19:56

 

INTERVIEW

 

Selon le chercheur Gilles Yabi, même si Compaoré se représentait, «il n’est plus exclu qu’il soit battu» :

 

Gilles Yabi, de nationalité béninoise, a dirigé entre janvier 2011 et décembre 2013 le bureau Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group (ICG). Il est aujourd’hui consultant international, notamment en Afrique de l’Ouest.

 

Pourquoi cette crise au Burkina Faso ?

 

La position de Blaise Compaoré, qui voudrait se maintenir au pouvoir en modifiant sa propre Constitution, n’est pas quelque chose de très neuf en Afrique. L’Algérie reste un précédent récent. D’autres régimes empruntent cette voie, l’ont empruntée, ou vont l’emprunter. En fait, ce qui se déroule aujourd’hui au Burkina est vraiment tout sauf une surprise. Ce moment était attendu, redouté, voire anticipé dans les cercles du pouvoir. D’autant que la société civile, qui s’est massivement mobilisée ces derniers jours, avait multiplié les avertissements et les alertes.

 

D’où vient cette volonté du Président de se prolonger «constitutionnellement» ?

 

On peut imaginer - mais pas seulement dans le cas du Burkina qui nous occupe - que le chef de l’Etat cherche à éviter de répondre devant la justice de faits relevant du pénal, par exemple. Mais il ne faut surtout pas perdre de vue que ces systèmes démocratiques jeunes sont souvent le fruit d’une transition démocratique en trompe-l’œil. Ils héritent des réflexes des régimes autoritaires qui les précédaient. Par ailleurs, il faut aussi tenir compte des élites locales qui n’ont pas encore intégré les réflexes démocratiques. On a donc d’un côté une manipulation constitutionnelle pour rester en place et, de l’autre, une culture démocratique encore insuffisante, voire imparfaite.

 

Quels seraient les scénarios possibles pour l’avenir du pays ?

 

Je tiens à insister tout d’abord sur cette réaction populaire impressionnante à l’échelle du pays et même de la région. Il s’agit là d’une pression citoyenne sans équivalent dans le pays, qui ouvre en quelque sorte le jeu démocratique. Enfin… pour le moment. Bien entendu, il faut attendre le vote de l’Assemblée nationale, ce jeudi. Ensuite, on verra s’il y a obligation de passer par le référendum. Cette hypothèse pourrait déboucher sur une grande période d’incertitude politique. Et quand bien même Blaise Compaoré se représenterait, il n’est pas exclu qu’il soit battu. Tous les scénarios sont envisageables, y compris les moins favorables pour la stabilité et l’avenir du pays…

 

Que répondez-vous à l’argument souvent mis en avant pour justifier la longévité au pouvoir de Compaoré : celui d’un dirigeant qui serait un gage de stabilité régionale ?

 

L’argument de la stabilité régionale et sous-régionale incarnée par un seul homme n’est ni recevable ni sérieux. Sa variante, l’importance et la solidité des réseaux tissés par un chef d’Etat et son entourage à travers les mandats successifs, demeure pour le moins fragile, même si des réussites économiques certaines sont à mettre à son crédit. Mais la vraie question est de savoir si le Burkina peut se défaire de son régime semi-autoritaire pour entrer dans un système véritablement démocratique.

 

Comment le définiriez-vous, ce régime ?

 

C’est un régime usé, qui a traversé plusieurs phases depuis 1987, mais qui reste marqué par deux faits importants : l’assassinat de Thomas Sankara [à la tête du Conseil national révolutionnaire, panafricaniste, à partir de 1983, et tué le 15 octobre 1987, ndlr] qui l’a fragilisé dès le départ, puis, en 1998, celui du journaliste Norbert Zongo [qui enquêtait sur un meurtre dans lequel le frère de Blaise Compaoré, François Compaoré, serait impliqué]. Ce crime a écorné l’image patiemment construite d’un régime incarné par un homme qui se serait transformé de putschiste en président.

 

Recueilli par Jean Louis Le Touzet

 

 

Au Burkina Faso, un parfum de printemps africain

 

 

REPORTAGE

 

La société civile, qui s’organise pour contrer le projet de révision de la Constitution du président Compaoré, prévoit déjà un conflit dans la durée.

 

Drôle de symbole. A Bobo-Dioulasso, la statue de Blaise Compaoré a été déboulonnée. Juste à côté, celle de son ami Kadhafi, le dictateur libyen renversé en 2011, est toujours debout, alors que les slogans brandis et scandés par les manifestants de la deuxième ville du Burkina, comme dans la capitale, Ouagadougou, avaient un air de printemps arabe.

 

Environ un million de personnes (pour un pays de 16 millions d’habitants) ont déferlé mardi dans les rues des principales villes du pays, aux cris de «Compaoré, dégage !» ou «Libérez Kossyam», du nom du palais présidentiel. Une marée humaine répondant à l’appel de l’opposition à la «désobéissance civile».«Compaoré doit partir. Je n’ai connu que lui comme président. Vingt-sept ans au pouvoir, c’est trop», s’énervait un jeune dans le cortège bobolais. «On s’est levé pour que ça change, et ça va changer», explique Idrissa, la cinquantaine grisonnante, aussi déterminé que Yakou, chauffeur de taxi : «Même si on doit mourir, on ira jusqu’au bout.»

 

Objet de la colère populaire : le projet de loi déposé le 21 octobre par le gouvernement pour réviser l’article 37 de la Constitution et faire passer de deux à trois le nombre maximum de quinquennats présidentiels, permettant à Blaise Compaoré de se représenter aux élections prévues pour novembre 2015. La réforme, qui doit être examinée ce matin et nécessite la majorité des trois quarts des députés, a toutes les chances d’être adoptée : après le ralliement de la troisième force politique du pays cette semaine, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti au pouvoir, et ses alliés détiennent 101 sièges sur 127. La manœuvre législative prendrait de court les adversaires du Président, occupés depuis des mois à empêcher la tenue d’un référendum sur la question. Les opposants crient au «coup d’Etat constitutionnel».

 

Grève générale. Voilà plus d’un an que la tension monte au Burkina Faso, le Président et son entourage cherchant de plus en plus ouvertement le moyen d’ouvrir la voie à une nouvelle candidature. Une année de manifestations et meetings, menés par un front uni de partis d’opposition et d’organisations de la société civile, a montré l’hostilité d’une grande partie de la population à toute prolongation du «Blaiso», sobriquet donné au président par la presse locale. «On en a marre d’un système où un petit groupe a le pays en main et où le peuple n’a qu’à se débrouiller pour survivre», déplore Issouf, enseignant à Bobo. Hasard du calendrier, les syndicats appelaient mercredi à la grève générale pour réclamer une amélioration des conditions de vie et une réforme du système éducatif, déliquescent. Dans ce pays sahélien, l’un des plus pauvres du monde, le revenu minimum dépasse à peine un euro par jour et seuls 29% des habitants sont alphabétisés.

 

«Compaoré a mis le pays dans une situation de chaos. Les écoles, les hôpitaux, plus rien ne fonctionne. Il n’y a que dans les poches de nos dirigeants que tout va bien», clame Sams’k Le Jah, reggaeman ultra populaire chez les jeunes, qui dénonce depuis des années dans ses textes «l’accaparement du pouvoir par un régime rongé par la corruption». Il a fondé en juillet 2013 avec le rappeur Smockey, autre célébrité engagée, le «Balai citoyen», mouvement destiné à «balayer Blaise et sa malgouvernance». S’inspirant du mouvement Y’en a marre qui a accompagné l’alternance au Sénégal, le Balai citoyen est devenu l’une des principales forces de mobilisation de la jeunesse, bien implantée dans les quartiers des grandes villes.

 

«Crime originel». Les deux chanteurs, qui affirment recevoir des menaces, «disent depuis longtemps ce que tout le monde pense tout bas», assure une jeune secrétaire bobolaise. Ils dénoncent notamment les zones d’ombres du régime, à commencer par ce qui demeure son «crime originel» : être parvenu au pouvoir, en 1987, à la faveur d’un coup d’Etat au cours duquel a été tué Thomas Sankara, père de la révolution burkinabée devenu icône des jeunes du pays, voire du continent. Une mort dont les circonstances n’ont jamais été éclaircies, pas plus que celle de Norbert Zongo, journaliste d’investigation retrouvé carbonisé dans sa voiture en 1998 alors qu’il enquêtait sur une affaire impliquant le frère - et éminence grise - du président.

 

Mardi, de nombreux balais étaient brandis dans les cortèges, rejoints par les spatules en bois des femmes. Autant de signes de l’esprit pacifique des manifestants. «Nous sommes un peuple respectueux, mais il ne faut pas qu’on nous prenne pour des moutons. La liberté n’a pas de prix, prévient tout de même Sams’k Le Jah. Désormais, ça passe ou sa casse.»

 

Déjà, plusieurs affrontements entre la police et les jeunes - gaz lacrymogènes contre jets de pierre - ont eu lieu mardi à Ouagadougou. Personne ne semble en mesure de prévoir la durée ni l’issue du conflit. Depuis la semaine dernière, les files s’allongent aux guichets des banques, aux stations services. Les habitants font des réserves d’eau et de nourriture.

 

Par crainte des débordements, à Bobo-Dioulasso comme à Ouagadougou, le grand marché et tous les commerces ont gardé portes closes mardi. Les écoles et universités sont fermées pour toute la semaine, sur consigne du gouvernement. «Mais on s’attend à ce que ça dure, s’inquiète un père de famille. Nos enfants risquent encore de connaître une année blanche.» Car le pays a déjà connu plusieurs épisodes de turbulences violentes. Le dernier en date - des émeutes, en 2011, suite à la mort d’un lycéen passé à tabac par des policiers - avait fait vaciller le régime.

 

Putsch. Cette fois encore, tous les ingrédients semblent réunis pour que la situation s’enflamme. Avec une inconnue de taille : le rôle de l’armée. Depuis des mois, le pays bruisse de rumeurs de coup d’Etat, sans qu’on puisse déterminer de quel côté pencherait un éventuel putsch. Dès mercredi soir, des opposants avaient prévu de bloquer l’accès à l’Assemblée nationale pour empêcher la tenue du vote. La police a quadrillé les lieux.

 

Par Louise Agar Correspondance à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso)

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