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Loin des caméras, le récit d’un week-end meurtrier en Centrafrique

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09/12/2013

 

Alors que l’attention de la communauté internationale se concentre sur Bangui, capitale centrafricaine où l’opération Sangaris a débuté vendredi, plusieurs villes de province se sont enfoncées dans le chaos, loin des caméras et des patrouilles de sécurisation du territoire. Notre Observateur dirige une mission catholique dans la ville de Bozoum, dans le nord du pays. Après 22 ans sur place, il affirme que la situation est grave.

 

À 380 kilomètres au nord de la capitale, Bozoum, ville de 20 000 habitants, est entrée comme le reste du pays dans une spirale de violences communautaires et interreligieuses il y a quelques mois. Durant ces dernières semaines, nos contacts sur place avaient toutefois observé un relatif retour au calme, si bien que les écoles de la ville avaient commencé à rouvrir.

 

Mais le calme a été de courte durée. Jeudi, quelques heures après que des groupes "anti-Balaka" ont attaqué plusieurs quartiers de Bangui, les répercussions se sont faites sentir à Bozoum. Notre Observateur, Aurelio Gazzera, prêtre de la paroisse de la ville, décrit une réaction "hystérique de la Seleka", dont les éléments se seraient affrontés aux anti-Balaka et auraient attaqué des civils.

 

Les anti-Balaka sont des milices armées, à majorité chrétienne, qui se sont constituées pour combattre les groupes de rebelles de l’ex-Seleka. La Seleka, aujourd’hui dissoute, est la coalition rebelle à majorité musulmane, qui a porté Michel Djotodia à la présidence en mars 2013 par un coup d’État, forçant François Bozize à quitter le pouvoir.

 

ATTENTION : CERTAINES IMAGES PEUVENT CHOQUER.

 

"Nous n’avons aucun moyen de sécuriser davantage la ville pour le moment"

 

Pendant 48 heures, il y a eu des tirs et des affrontements entre anti-Balaka et ex-Seleka. À certains moments, on a entendu des tirs à l’arme lourde, probablement au mortier. 3 000 habitants de Bozoum ont fui les violences et trouvé refuge dans la mission où j’officie.

 

Le préfet de Bozoum a également quitté la ville, rappelé par Bangui. Il n’y a plus d’autorités politiques ici, la population est livrée à elle-même. Au centre-ville, il ne reste que quelques civils, la plupart musulmans ou peuls, tous armés de machettes, de couteaux, de bâtons ou d’arcs. Les membres de la Croix-Rouge tentent d’appeler au calme. Samedi, je suis parti avec un de leurs convois constater les dégâts de la veille. Nous avons croisé des familles qui quittaient par dizaines la ville à pieds.

 

Dans le centre de Bozoum, c’était une scène de désolation. Plusieurs corps sans vie, la plupart tués par balles, jonchaient le sol. Nous avons ramassé les corps de sept personnes, dont un seul était vraisemblablement un anti-Balaka, car il avait une arme près de lui. Tous les autres étaient des civils qui se cachaient dans leur maison ou avaient trouvé refuge quelque part. De nombreux autres personnes ont été gravement blessées comme une femme qui se cachait derrière la porte de sa maison et qui a pris une balle dans le ventre. Ces gens sont des innocents qui n’ont rien à voir ni avec la Seleka et les anti-Balaka.

 

Nous avons enfoui ces corps dans une fosse commune. En deux jours, on dénombre au moins 35 morts… mais il est très probable qu’il y en ait plus, car les familles ont sûrement enterré eux-mêmes les corps.

 

Nous n’avons aucun moyen de sécuriser davantage la ville pour le moment. La garnison de la Force multinationale de l'Afrique centrale (FOMAC) la plus proche se situe à Paoua, à 120 kilomètres au nord de Bozoum. Ce matin, un de leurs convois est passé par Bozoum. On s’est mis en travers de leur route pour leur demander de l’aide, mais ils n’ont laissé aucun renfort pour le moment. Un des soldats m’a demandé de "rester calme". Je lui ai dit que si après 22 ans en Centrafrique, je dis que la situation est grave, il faut peut-être me prendre au sérieux. [Vendredi, une centaine de soldats venant de Bangui, dont des soldats français, se sont déployés à Bossangoa, principale ville de la région de Bozoum. Ils n’ont pas encore patrouillé à Bozoum.]

 

Il y a un sentiment d’hostilité générale dans la ville. Hier, des gens ont pénétré à deux reprises dans l'enceinte de la mission avec des machettes, avant d’être repoussés par notre service de sécurité. J’ai personnellement été menacé lorsque j’étais avec la Croix-Rouge. Des personnes m’interpellaient et me disaient "Aurélio le faux", car ils m’accusaient d'avoir montré ce qu’a pu faire la Séléka ici. Si les ex-Seleka ou d’autres personnes plus armées arrivent ici, je n’ose pas imaginer ce qui pourrait se passer.

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