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Béatrice Epaye : «Aujourd’hui, on lit sur le visage d’un Centrafricain la haine et la souffrance»

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RFI  mardi 03 décembre 2013 à 22:52  Par Christophe Boisbouvier

 

Les 6 et 7 décembre, la Centrafrique sera au cœur du sommet qui réunira plusieurs dizaines de chefs d’Etat africains autour de François Hollande à Paris. Et cela d’autant plus que dans les trois jours, le Conseil de sécurité de l’ONU doit donner son feu vert au déploiement d’un millier de soldats français dans ce pays. Des militaires français, oui, mais pour quoi faire ? Entretien avec Béatrice Epaye, figure de la société civile centrafricaine. Ancienne députée indépendante, elle siège aujourd’hui au Conseil national de transition et préside la Voix du cœur, une association pour les enfants des rues.

 

RFI : Il y a deux mois, vous avez lancé un cri d’alarme, « la Centrafrique est un pays qui n’existe presque plus » avez-vous dit ; aujourd’hui, la situation s’est-elle améliorée ?

 

Béatrice Epaye : Non, la situation ne s’est pas améliorée, mais on sent que les choses bougent. Il y a plus d’engagements du côté de la communauté internationale et aussi l’engagement de la France qu’on attendait. Mais maintenant, il faut agir vite parce que la population souffre.

 

Est-ce qu’il y une situation « prégénocidaire », comme disent les Américains ?

 

Ce n’est pas un mot que je voudrais employer, mais sur le terrain on voit que les communautés s’affrontent. Vous avez entendu parler des anti-balaka [« anti-machette » en sango, milices d'autodéfense]. Ce sont des jeunes des villages, qui à cause des exactions, se sont organisés pour aller contre les Seleka. Mais parfois, ils font l’amalgame avec d’autres paisibles populations qui sont musulmanes, surtout les Peuls. Tout ça, il faut arrêter. Souvent, les musulmans vont chercher refuge chez les Seleka, tout comme les chrétiens qui vont s’abriter dans les évêchés, tel qu’à Bossangoa, à Bouar, à Bangassou. Donc je crois qu’il faut agir vite pour que ce qui se passe aujourd’hui ne soit pas appelé demain génocide.

 

Et dans votre région natale à Bossangoa, les deux communautés continuent de se regarder en chiens de faïence ? N’y a-t-il pas d’apaisements depuis deux mois ?

 

Il n’y a pas d’apaisements, les deux communautés ont peur. D’un côté, les chrétiens ont peur des Seleka qui appuient la communauté musulmane, et de l’autre côté, la communauté musulmane a peur des anti-balaka. Nous avons sur place la Fomac qui est la force d’Afrique centrale, qui va devenir Misca, mais jusqu’à présent, ces forces n’ont pas pu sécuriser les populations. Et je crois que c’est tout à fait normal aujourd’hui qu’il y ait une intervention française pour les appuyer.

Est-ce qu’il y a des massacres dans certains villages qui vous font craindre peut-être une explosion de violence ?

 

Oui, à Gaga après le passage des anti-balaka, - c’est dans la région de d'Ombella-Mpoko, à peut-être 250 kilomètres de Bangui - on a vu les Seleka venir dans ce village exterminer toute une population, puisqu’ils sont rentrés de maison en maison pour assassiner les populations, en représailles des anti-balaka. On a vu aussi les anti-balaka, à 40 kilomètres de Bossangoa, rentrer dans un campement peul, pour assassiner à leur tour des populations peules qui sont parfois confondues aux Seleka puisqu’ils ont le même type sahélien, ils parlent le peul et ils sont de confession musulmane. Et souvent les Seleka rentrent aussi dans leurs campements pour les rançonner, leur enlever leurs enfants, en faire des enfants-soldats. On est dans une confusion totale.

 

Et quand les soldats français vont se déployer en appui à la Misca, est-ce que le rapport de force ne va pas changer en faveur des anti-balaka ? Et est-ce que ces milices ne risquent-elles pas de commettre des crimes contre la minorité musulmane ?

 

Je ne pense pas que l’intervention française va avantager une communauté par rapport à l’autre, non c’est pour sécuriser l’ensemble du pays. Donc tous ceux qui auront des armes, qui voudront utiliser ces armes pour tuer, je crois que ceux-là seront les cibles de l’armée française.

 

Cette semaine à New York, le Conseil de sécurité des Nations unies doit donner son feu vert à cette intervention militaire française en appui à la Misca, est-ce que cela vous satisfait pleinement ou pas ?

 

Il semblerait que nos autorités en Centrafrique ont écrit pour demander l’intervention de la France, mais il faut agir vite. Aujourd’hui, on lit sur le visage d’un Centrafricain la haine, la souffrance.

 

Quand vous dites qu’on voit la haine, ça veut dire qu’il y a de vrais risques de vengeance de la part des anti-balaka contre les Seleka ?

 

Ce n’est pas seulement les anti-balaka, on voit la résistance qui se créée à des manifestations, même dans la capitale, Bangui. Quand on a vécu ensemble, entre communautés, voisins et que du jour au lendemain, tu vois ton voisin se lever, aller piller ta maison, prendre une arme, tirer sur ton enfant... ça, tu gardes dans ton tréfonds et un jour viendra où tu va faire comme lui. Donc, c’est ça qu’il faut arrêter.

 

Pour l’instant, il n’y a que la France qui soit favorable à l’envoi de casques bleus dans votre pays. Les Américains, les Russes, les Chinois sont très hésitants. Est-ce que la formule Misca plus armée française, suffira-t-elle ou pas ?

 

Il ne faut pas seulement que ce soit une force qui intervient pour chasser les malfaiteurs et qui s'en va ensuite et qu'après les malfaiteurs s’organisent, comme on a toujours vu, pour revenir dans le pays pour refaire les mêmes exactions. Il faut que ce soit durable. Alors si la durabilité, c’est que ces forces de la Misca, appuyées par la France, se transforment plus tard en force de l’ONU, ça va nous aider peut-être à réhabiliter notre armée, à avoir des forces de sécurité centrafricaines. Il faut trouver une solution durable, il ne faut pas qu’on reste dans cette récurrence de coups d’Etat, de rébellions, etc. Il faut penser à reconstruire ce pays, c’est un pays potentiellement riche, il y a des ressources, mais il faut seulement la gouvernance, l’exploitation rationnelle de ces ressources pour aider ce pays à se développer comme les autres.


En vue du sommet « Paix et Sécurité en Afrique », qui se tiendra les 6 et 7 décembre à Paris en présence de nombreux chefs d'Etat africains, la présidence française a d'ores et déjà mis en place un site internet et un compte Twitter consacrés à l'évènement.

Béatrice Epaye : «Aujourd’hui, on lit sur le visage d’un Centrafricain la haine et la souffrance»

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