LE MONDE | |Par Cyril Bensimon
Ce n'est plus qu'une question de jours, la France va lancer une opération militaire en République centrafricaine (RCA). « Une opération coup de poing, limitée dans le temps, pour rétablir l'ordre et permettre une amélioration de la situation humanitaire », indique une source au ministère de la défense. « Il se produit en Centrafrique des actes abominables. Un chaos, des exactions extraordinairement graves. Nous devons agir », a répété, jeudi 21 novembre, François Hollande qui, depuis septembre, s'est emparé du dossier. La veille de cette déclaration, le chef de l'Etat avait convoqué un conseil restreint de défense. Plusieurs options ont été proposées par le ministre de la défense, Jean-Yves Le Drian. Selon plusieurs sources, l'hypothèse la plus probable est de porter les effectifs militaires français en RCA à environ un millier d'hommes.
Près de 400 soldats français sont postés depuis 2002 aux abords de l'aéroport de Bangui. Des missions de reconnaissance à l'intérieur du pays ont déjà commencé. Des troupes ont été récemment prépositionnées dans la région. Ces renforts permettront d'intensifier les patrouilles dans la capitale centrafricaine, de se déployer dans les villes les plus affectées par les affrontements interreligieux et de sécuriser les axes routiers menant au Cameroun et au Tchad, vitaux pour l'économie de ce pays enclavé.
« L'intervention se fera dans la foulée de l'adoption d'une nouvelle résolution par le conseil de sécurité des Nations unies », indique une source gouvernementale. Cette résolution, qui donnera un mandat à l'action française, pourrait intervenir dès la première semaine de décembre, au moment où l'Elysée organisera un sommet consacré aux questions de sécurité sur le continent africain (les 6 et 7 décembre). Officiellement, il s'agira d'appuyer les 3 600 soldats de la force de l'Union africaine. La Mission internationale de soutien à la Centrafrique (Misca) doit prendre, le 19 décembre, le relais de la Force multinationale d'Afrique centrale.
UN ÉTAT "AU BORD DU GÉNOCIDE"
Dans les faits, les militaires français devraient conduire des opérations de « nettoyage » des bandes armées qui sévissent à Bangui et dans le nord-ouest du pays. Les ex-rebelles de la Séléka, principalement musulmans, qui ont pris le pouvoir le 24 mars 2013, et les milices villageoises Anti-Balaka, à majorité chrétienne, se sont lancés dans un cycle de violences et de représailles menaçant de faire basculer le pays dans un conflit interreligieux. Parallèlement, Paris poursuit une intense activité diplomatique et multiplie les contacts avec les chefs d'Etat du continent et l'Union africaine. « C'est capital. Il faut faire passer le message que l'on est là pour aider les Africains, pas pour se substituer à eux », indique un diplomate du Quai d'Orsay. La France veut évacuer toute ambiguïté dans un pays où l'ancienne puissance coloniale a longtemps fait et défait les régimes en place. « Que les Français interviennent, cela ne me pose aucun problème. Toute la population attend ça. On philosophera après, là il est question de sauver des vies humaines », juge l'ancien premier ministre Martin Ziguélé.
Depuis septembre, la France tente de mobiliser les grandes puissances sur le dossier centrafricain. Washington et Londres sont réticents à l'idée de former une nouvelle opération de maintien de la paix de 6 000 à 9 000 casques bleus, préconisée par le secrétaire général des Nations unies. Trop coûteuse à leurs yeux. Un changement vient néanmoins de s'opérer côté américain. Alors qu'un responsable de l'ONU, Adama Dieng, avait considéré début novembre qu'il existait un risque de génocide en RCA, Robert Jackson, le directeur adjoint du bureau Afrique du département d'Etat, a évoqué « une situation pré-génocidaire » dans ce pays.
Lors d'un entretien à France 2, jeudi, Laurent Fabius a parlé d'un Etat « au bord du génocide ». Les termes utilisés ne sont pas fortuits. Ils placent la communauté internationale face à une obligation d'agir au plus vite et servent à mobiliser les opinions publiques même s'ils ne correspondent pas à la réalité sur le terrain. «Ça permet d'attirer l'attention, mais le moyen est discutable, analyse Roland Marchal, du Centre d'études et de recherches internationales. Depuis le Darfour, il y a une banalisation du terme “génocide”. La situation centrafricaine doit être décrite comme elle est. Derrière tous ces crimes il n'y a pas de projet, mais une montée du banditisme de grand chemin. Les violences intercommunautaires ont déchiré le peu de tissu social qui restait. Cela peut tuer beaucoup de gens, ça n'en fait pas un génocide. »
Selon le chercheur, Paris ne devrait pas faire l'économie d'une action « plus intrusive dans la politique centrafricaine pour permettre une restauration de l'Etat et travailler à la réconciliation entre les communautés ». Le projet initial français, frapper fort, partir vite et passer le relais aux Africains, est à l'exact opposé.