RFI mardi 24 septembre 2013 à 14:47
Mercredi 25 septembre 2013, Béatrice Epaye sera à New York, avec le CCFD-Terre solidaire, pour témoigner au sommet sur la Centrafrique prévue en marge de l'Assemblée générale de l'ONU. Cette ancienne députée indépendante dans la dernière Assemblée centrafricaine, siège aujourd'hui au Conseil national de transition et lance un cri de détresse au micro de Christophe Boisbouvier.
RFI : Qu’attendez-vous de la réunion de cette semaine à l’ONU qui va être consacrée à la Centrafrique ?
Béatrice Epaye : C’est la première fois qu’on parle d’une telle réunion depuis que la crise a commencé. Et on se rend compte que la Communauté internationale a peut-être décidé cette fois-ci, de prendre des bonnes décisions pour qu’on arrête ce drame et que les populations vivent en paix. Mais il faut que cette réunion soit décisive. C'est-à-dire qu’elle pose les jalons de la sécurisation du pays. Il faudra que les décideurs puissent s’engager à reconstruire cet Etat, qui aujourd’hui est comme un non Etat. C’est un pays qui n’existe presque plus, puisque l’armée est inexistante et il est à la merci des milices, des gens venus d’ailleurs, qui font leur loi.
Vous êtes au Conseil national de transition, où vous représentez la préfecture de l'Ouham dont le chef-lieu est Bossangoa, au nord-ouest du pays. Qu’est-ce qui se passe en ce moment à Bossangoa ? Est-ce un conflit de nature politique ou religieuse ?
Je crois qu’aujourd’hui, quand on voit des zones de résistance, c’est un ras-le-bol. Certains veulent l’expliquer par la politique, mais moi non.
Ce ne sont pas des pro-Bozizé ?
On a écouté la déclaration du porte-parole de l’ancien président Bozizé. Ca n’engage que lui. Mais moi, je représente une population. J’ai vu l’humiliation d’une population. Les paysans ont perdu leurs outils de production, on viole leurs femmes devant eux ! Les gens emportent dans les autres pays les bœufs qui servent à l’attelage des charrues et qui sont leur outil. C’est ça, leur pain de chaque jour ! L’humiliation d’un père de famille devant sa femme, devant ses enfants, ça peut amener des gens à se révolter. Et les autorités militaires qui sont aujourd’hui au pays, qui sont des Seleka, on les a vus dans les provinces, monter des communautés les unes contre les autres, utiliser des citoyens issus de l’immigration. Peut-être que la majorité ne sont pas chrétiens, mais ils les ont utilisés pour mater les autres. C’est pour cela qu’il y a eu cette confrontation qui a eu une connotation religieuse et qui est dommage. Et je demande à ce que ça s’arrête parce que la RCA n’est pas ça.
« Le conflit est en train de devenir une confrontation religieuse », dit le président français, François Hollande. Etes-vous d’accord ?
Il a raison. Parce que ce qui s’est passé à Bossangoa, à Bouca, on voit bien que c’est une confrontation entre les chrétiens et les musulmans. Et les Seleka viennent appuyer les musulmans contre les chrétiens. Mais il ne faut pas seulement le dire, il faut l’arrêter. C’est pour cela qu’on lance ce message à la France pour que ça ne fasse pas un effet boule de neige, pour que l’ensemble du pays ne s’embrase pas dans ce conflit qui devient de plus en plus religieux.
Et en même temps Michel Djotodia, le numéro un du pays, affirme dans le quotidien Libération : « Les tensions entre communautés religieuses n’ont pas de réalité, ça ne marchera pas ».
Il a peut-être raison, mais c’est la Seleka, dans sa progression, dans sa conquête de pouvoir, qui a monté une communauté contre l’autre, qui a utilisé une communauté contre l’autre, assassiné, profané des églises avec le non-respect des choses sacrées, des femmes et des enfants. Les femmes ont été violées devant leurs maris. Ca a révolté les gens. La population centrafricaine a toujours vécu pacifiquement. Quand je me suis mariée à la cathédrale de Bossangoa, la famille de ma belle-mère qui est musulmane était à la cathédrale, avec nous. On n’a jamais connu ça. Quand il y a des ordinations à l’église catholique ou chez les pasteurs, il y a toujours l’imam qui est là pour accompagner les autres.
Pour la première fois depuis l’Indépendance, un musulman qui dirige le pays. Est-ce que ça ne change pas la donne religieuse ?
Non, c’est un faux problème parce qu’en Centrafrique nous avons vu des ministres d’Etat musulmans. Mais maintenant les gens vont réfléchir. Les gens ont vu comment un chef musulman dirige la République Centrafricaine : comment on peut prendre le pouvoir chez toi, gouverner un pays en amenant des gens – dont on ne sait d’où ils viennent – pour casser ton pays, ridiculiser ton peuple. Ca va faire réfléchir.
Côté français, François Hollande dit que la France aura sans doute à être davantage présente en Centrafrique. Mais en même temps il ne souhaite pas, apparemment, que des troupes françaises interviennent directement dans votre pays. Cela vous rassure ?
Je crois qu’aujourd’hui il ne faut pas qu’il se limite seulement à la logistique. Son armée a une compétence pour ce genre d’intervention. On l’a vu dans les pays voisins. Donc, l’armée française doit nous aider. On se retourne vers la France, comme les autres Etats africains. La France connaît le terrain centrafricain. Pourquoi nous laisser tourner en rond depuis six mois ? Pourquoi parler de la somalisation et laisser les gens mourir ?
Après ce que la France a fait au Mali, vous lui demandez quelque chose aussi en Centrafrique ?
Pourquoi pas ? Les êtres sont tous les mêmes. Un Centrafricain qui meurt c’est la même chose qu’un Malien !
Vous avez le sentiment d’être les oubliés de l’Afrique ?
Nous sommes les oubliés de l’Afrique, même ce conflit a été oublié. Mon appel c’est qu’on ne nous oublie pas. Il ne faut qu’on nous laisse nous entretuer et on en est déjà arrivés là. Les communautés qui s’affrontent, des gens qui ont mangé ensemble qui s’affrontent, parce que des gens qui veulent le pouvoir les ont utilisés à s’entretuer. Il faut arrêter.