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Lu pour vous : En RCA, les factions se disputent Bria et ses diamants

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LE MONDE | • Mis à jour le | Par Cyril Bensimon (Bria, envoyé spécial)

 

« Ben Laden » est installé chez le préfet de Bria. Le général Tom Adam a rasé la barbe qui lui a valu ce surnom, mais son arrivée mi-novembre avec quatre autres chefs militaires de lex-Séléka (la rébellion majoritairement musulmane venue du Nord) a fait naître la psychose dans la préfecture de la Haute-Kotto, située à 600 kilomètres au nord-est de Bangui.

 

Après avoir tergiversé sur l’opportunité de laisser ou non passer ces officiers de l’ex-rébellion venus de Kaga-Bandoro, une localité plus au nord, les forces internationales, casques bleus de la Minusca et militaires français de l’opération « Sangaris », ne se sont finalement pas opposées à l’entrée de ces nouveaux venus, lourdement armés.

 

Depuis, la ville retient son souffle dans la crainte d’affrontements fratricides entre les hommes de la bande des cinq généraux et ceux du commandant de la zone, le colonel Adoum Moctar. « On sent que la pression monte et que cela peut très vite dégénérer », constate le capitaine Ulrich, le chef du détachement de « Sangaris ». « Il y a l’apparence que tout va bien mais les braquages se multiplient le soir. C’est encore vivable mais la peur est là. Nous sommes sur un volcan », s’alarme Josué, un habitant de la ville. Par précaution, des citadins sont partis se réfugier dans les champs bien que la campagne environnante ne soit plus un abri sûr. Avec le début de la période de transhumance, des éleveurs peuls, en armes, circulent dans la zone avec leurs troupeaux et la crainte d’affrontements avec les agriculteurs augmente.

 

Bria n’a pas explosé comme sa voisine Bambari, où les tueries se succèdent depuis plusieurs mois, mais elle concentre nombre des problèmes actuels de la République centrafricaine (RCA) : les divisions entre ex-Sélékas, les conflits entre pasteurs et cultivateurs et la course aux diamants, alors que le pays, sous embargo, ne peut exporter ses pierres précieuses.

 

Des divisions politiques et économiques

 

Depuis qu’elle a lâché le pouvoir en janvier 2014, l’alliance formée par les anciens rebelles a volé en éclats mais les tensions ne se fondent plus sur des ressorts ethniques. Pendant des années, les communautés goula et rounga se sont affrontées, mais aujourd’hui les divisions portent principalement sur des considérations politiques et économiques.

 

Désormais, deux camps s’opposent : d’un côté, ceux qui sont restés fidèles à l’ex-chef de l’Etat Michel Djotodia, exilé au Bénin, et à son chef militaire Nourredine Adam et de l’autre, ceux qui se sont placés sous l’autorité de Herbert Djono Ahaba, le neveu de M. Djotodia, et du général Zakaria Damane, le père fondateur des rébellions du nord de la Centrafrique. Si les portes de la réconciliation ne sont pas fermées, la guerre intestine au sein de l’ex-Séléka a des allures de querelle familiale où les différends peuvent se régler dans le sang.

 

Les cinq généraux appartiennent à la première tendance, celle des durs, renommée Front populaire pour la renaissance centrafricaine (FPRC), et le moment choisi de leur arrivée à Bria n’a rien d’innocent. Ceux-ci ont pénétré dans la ville quelques jours avant que le second groupe, le Rassemblement patriotique pour le renouveau de la Centrafrique (RPRC), tienne son assemblée générale. Ses conclusions ont été aussitôt rejetées par les tenants d’une ligne sans concession avec les autorités de transition.

 

« La paix à rude épreuve »

 

A 35 ans, le général Arda Hakouma a déjà une solide carrière de rebelle derrière lui. Engagé depuis 2006 dans les rébellions centrafricaines, il a conduit la colonne qui en mars 2013 a pris Bangui et fait le coup de feu avec les insurgés tchadiens qui en 2008 furent tout près de renverser Idriss Déby. Le chef d’état-major du FPRC semble avoir abandonné l’idée d’une partition de la RCA sur des critères religieux mais il ne mâche pas ses mots lorsqu’il s’agit de qualifier ses anciens partenaires. « Djono, c’est un égoïste qui veut manger l’argent de Samba-Panza [la présidente de transition]. Il prend l’argent mais ne redistribue rien. » « Lors de cette assemblée générale sans valeur, ils ont manipulé Damane qui est analphabète et n’a rien dans la tête. » Le général Damane a depuis quitté la ville.

 

L’autre branche, le RPRC, ne dispose pas des mêmes moyens militaires mais elle bénéficie de la bienveillance de la communauté internationale. « Michel [Djotodia] ne reviendra plus et Nourredine [Adam] n’a pas le visage clair. Il faut se mettre derrière celui qui nous conduira à bon port », estime le général Issa Issaka, qui après s’être rangé derrière M. Djono Ahaba, est arrivé, dimanche 14 décembre, à Bria dans un avion des Nations unies pour conduire une mission de bons offices.

 

Aujourd’hui, les deux camps disent attendre le « forum de réconciliation » qui doit se tenir début 2015 à Bangui pour faire valoir leurs volontés. Cependant, ils partagent, avec des méthodes différentes, une même position : le retour de l’Etat centrafricain n’est pas encore le bienvenu dans les zones qu’ils contrôlent. A Ndélé, un préfet, un commissaire et un administrateur ont été blessés par balles par les hommes du FPRC. A Kaga-Bandoro, les mêmes ont interrompu brusquement une cérémonie de levée des couleurs. A Bria, le colonel Adoum Moctar se présente comme un fonctionnaire apolitique et s’inquiète de « l’arrivée de ces forces non conventionnelles qui mettent la paix à rude épreuve », mais il tient encore une bonne partie de l’administration et considère que « si la présidente envoie de nouveaux agents, cela pourrait créer un soulèvement ». La menace est à peine voilée.

 

Embargo

 

Pour les ex-Séléka, tenir Bria « la scintillante » est stratégique. Les eaux fangeuses en périphérie de la ville regorgent de diamants. Les ex-rebelles n’ont pas imposé un contrôle strict de la filière mais bon nombre d’entre eux sont d’anciens exploitants miniers. Les gemmes n’ont jusque-là apporté aucun développement à la localité mais ici tout tourne autour de ce commerce. Depuis mai 2013 et l’interdiction faite à la RCA d’exporter ses diamants, même si des pierres continuent de sortir illégalement, selon les experts de l’ONU, l’économie de Bria n’en est pas moins sinistrée.

 

Al Hadji Mahamat Wada, le plus gros collecteur de la ville, a fait construire une grande mosquée et finance plus de trois cents « creuseurs ». Derrière son comptoir, le vieil homme étale ses doléances : « A cause de l’embargo, nous n’avons plus les moyens de financer des chantiers. Le prix de vente a baissé de plus de 15 % car les acheteurs ne peuvent plus revendre à l’étranger. » Le discours est le même avec José Ferreira, un Portugais représentant à Bria de Badica, l’un des principaux bureaux d’achat. « Avant l’embargo, j’achetais facilement 2 500 carats par mois. Aujourd’hui, pas plus de 150. C’est la catastrophe », dit-il. Sa société s’est retrouvée accusée d’exporter frauduleusement des pierres en Belgique mais lui considère qu’il s’agit d’« un complot parce que mon patron est musulman ».

 

En moins de deux ans, les ex-rebelles auront affiché une somme d’incapacités : gérer le pouvoir, provoquer par leurs exactions la vengeance de miliciens sur les communautés musulmanes qu’ils étaient censés protéger, maintenir la cohésion dans leurs rangs et désormais offrir des perspectives aux zones qu’ils contrôlent encore malgré leurs déchirures.

 

Cyril Bensimon (Bria, envoyé spécial)

 
Journaliste au Monde

 

 


NDLR : Après le dossier sur le diamant centrafricain publié fin novembre dernier dans l'Express sous la plume de Vincent Hugeux suite à un excellent reportage sur le terrain en Centrafrique, cet article du journaliste du Monde vient dédouaner en quelque sorte la société Badica. A l'évidence, l'effondrement du chiffre d'affaire et la baisse substantielle d'activités de cette société, notamment à Bria, dont les propos du représentant, José Ferreira, déjà rapportés dans le reportage de l'Express et encore répétés ici, plaident en faveur de Badica et fragilisent plutôt quelque peu les accusations proférées par le groupe d'experts des Nations Unies dans leur rapport de fin octobre dernier. El Hadj Mahamat Danzoumi, le PDG de Badica y est pas moins mis en cause comme un des soutiens financiers de la Séléka. Ce fils du pays qui a débuté très jeune et bâti toute sa vie dans la filière diamantifère n'avait nullement besoin de la coalition rebelle Séléka pour faire prospérer son entreprise. Bien au contraire, sa société n'a nullement été épargnée par l'ouragan des razzias Séléka car les preuves sont là qui montrent que les bureaux d'achat de Badica à Boda, Carnot, Berbérati, Nola, Bria et autre Sam Ouandja, ont aussi été pillés et mis à sac sur presque toute l'étendue du territoire national. Les sanctions du Processus de Kimberley sur le diamant centrafricain sont venues aggraver les choses. Comment peut-on sérieusement être motivé à faire preuve de générosité avec de telles personnes qui sont la cause de vos malheurs ! S'il est vrai que certains responsables Séléka ont pu emprunter quelques fois les aéronefs de la compagnie aérienne de Badica pour se rendre dans certaines villes et dans les zones minières, il n'est pas moins vrai que tous les régimes qui se sont succédé au pouvoir à Bangui depuis le président David Dacko en passant par André Kolingba, Ange-Félix Patassé et François Bozizé, ont travaillé avec El Hadj Mahamat Danzoumi et ses sociétés Badica et Minair.

La société Sodiam à qui le rapport des experts des Nations Unies a pourtant décerné un satisfécit en quelque sorte, a été récemment prise la main dans le sac à l'aéroport Bangui Mpoko en train de tenter de vouloir sortir frauduleusement plusieurs carats de diamants et une forte somme d'argent vers l'Afrique du Sud. Tout cela doit conduire à relativiser certaines situations dans cette filière diamantifère fort complexe et où la vérité ne se trouve pas forcément du côté qu'on croît.

 

 

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