Engrenage. Certes, les forces françaises, avec le concours des contingents africains de la Minusca (la mission militaire de l’ONU en Centrafrique), ont réussi à faire cesser les massacres de grande ampleur qui ont ensanglanté le pays pendant plusieurs mois. Mais sur le fond, rien n’est réglé. Les armes circulent toujours alors que le mandat de l’ONU stipulait le désarmement des fauteurs de troubles. Et la Centrafrique semble désormais quasiment coupée en deux avec le repli des ex-rebelles de la Séléka dans la partie septentrionale de cet immense territoire un peu plus grand que la France.
En réalité, dès le départ, Paris évalue mal la situation. Les rebelles de la Séléka, qui commettent des exactions et des pillages, forment un assemblage hétéroclite de différentes factions, un mouvement armé qui a trop vite grossi lors de sa conquête du pays à partir du Nord, en décembre. Résultat : un chaos réel, une incapacité à gérer le pays et à contrôler des troupes qui ne répondent chacune qu’à leur propre commandant.
Placé à la tête du pouvoir par la Séléka, Michel Djotodia, lui-même ancien chef rebelle et diplomate, paraît dépassé. L’écarter et désarmer les rebelles pouvait donc sembler un objectif légitime. D’ailleurs, Michel Djotodia et ses sbires acceptent très rapidement le principe de l’opération française, comme un aveu de leur incapacité à contrôler la situation. Mais en cantonnant les rebelles dans des casernes, la France n’avait pas prévu «le match retour», c’est-à-dire l’engrenage des représailles.
Le baptême du feu a pourtant lieu dès le 5 décembre, avec les attaques massives contre la population musulmane accusée de soutenir implicitement les rebelles, eux aussi majoritairement musulmans. Or l’explosion des violences de ce début décembre 2013 n’avait peut-être rien de spontané. L’histoire reste à écrire mais de nombreux observateurs locaux estiment qu’il s’agissait d’une tentative préméditée, peut-être par l’ex-président Bozizé (chassé du pouvoir par la Séléka), de tenter un coup de force avant l’arrivée de l’armée française. Coup de force qui provoque surtout un embrasement du pays.
Génocide. La France pensait à l’origine protéger les victimes de la Séléka alors que Laurent Fabius parlait même de génocide. Mais voilà les militaires français soudain confrontés à un renversement de situation : les victimes sont surtout des civils musulmans agressés par des milices chrétiennes, les anti-balaka, que les troupes vont trop longtemps hésiter à désarmer.
Reste malgré tout la sécurisation de plusieurs sites, en province comme à Bangui. Au Cameroun voisin, beaucoup de réfugiés qui ont fui les massacres sont reconnaissants aux forces françaises d’avoir escorté leurs convois jusqu’à la frontière, leur évitant ainsi de tomber dans une embuscade fatale. Mais en protégeant les populations en fuite, l’armée française a, en partie et malgré elle, accompagné l’épuration religieuse d’un pays où la paix semble encore lointaine.
M.M. (au Cameroun)