Nations Unies
Conseil de sécurité
29 octobre 2014 Français Original : anglais
Malgré la signature à Brazzaville le 23juillet 2014 d’un accord de cessation des hostilités, les groupes armés contrôlent encore presque toutes les zones habitées de la République centrafricaine ou y exercent encore une influence.
Même si les conditions générales de sécurité semblent s’être en partie améliorées, en particulier à Bangui, le Groupe d’experts estime que quelque 2000 soldats de l’ex-Séléka, sans compter ceux cantonnés à Bangui, et quelque 1500 miliciens associés au mouvement anti-balaka font toujours peser une menace permanente sur la paix, la sécurité et la stabilité du pays, qui demeure de fait divisé.
Par ailleurs, les conditions de sécurité en République centrafricaine ne pourront vraiment s’améliorer que si les États voisins continuent de manifester leur attachement au processus de paix. Dans l’exercice de son mandat, le Groupe d’experts a recensé plusieurs incidents qui se sont produits dans le nord du pays, à la frontière avec le Tchad, notamment des meurtres de civils, des incendies de villages et des déplacements forcés. Du fait de ces attaques récurrentes commises par des groupes armés non identifiés et des unités de l’ex-Séléka sous le commandement du général de brigade Mahamat Alkhatim, une zone tampon a été créée entre le Tchad et les préfectures centrafricaines de l’Ouham et de l’Ouham-Pendé.
De plus, l’éclatement croissant des principaux groupes armés opérant dans le pays et l’implosion récente du Front populaire pour la renaissance de Centrafrique, la nouvelle structure politique représentant les ex-Séléka, constituent des obstacles importants à la stabilisation du paysage politique dans la perspective de la tenue, en février 2015, d’élections présidentielle et législatives libres, régulières, transparentes et ouvertes à tous.
Depuis le 5 décembre 2013, les affrontements directs entre les ex-Séléka et les forces anti-balaka ont été rares, mais les deux groupes armés, en particulier les anti-Balaka, n’ont cessé de prendre les civils pour cible. Dans ce contexte, l’attaque contre les positions Séléka à Batangafo (préfecture de l’Ouham), menée dans la semaine qui a suivi la signature de l’accord de cessation des hostilités à Brazzaville par l’un des commandants anti-balaka les plus en vue, qui est membre de la structure de commandement et de contrôle de l’aile militaire de la Coordination nationale des libérateurs du peuple centrafricain de Patrice Édouard Ngaïssona, également connue sous le nom de Mouvement des patriotes anti-balaka, illustre le doute qui plane quant à l’engagement réel des dirigeants politiques de mettre fin aux hostilités.
En outre, le Groupe d’experts estime que la rivalité entre les représentants politiques des groupes armés qui convoitent des postes ministériels et entre les commandants militaires qui cherchent à contrôler les ressources est à l’origine des luttes intestines entre des éléments de l’ex-Séléka et des factions anti-balaka rivales. La nomination du chef d’un groupe armé dénommé «Révolution et justice» au poste de ministre de la jeunesse et des sports dans le nouveau cabinet de transition renforce l’impression que commander un mouvement politico-militaire peut donner accès à des postes de haut niveau au sein du Gouvernement et, partant, valide la stratégie des fauteurs de troubles politiques.
Depuis que la République centrafricaine a été suspendue du Processus de Kimberley en mai 2013, on estime que 140000 carats de diamants d’une valeur de 24millions de dollars des États-Unis ont été exportés clandestinement. En mai 2014, les autorités belges ont saisi 6634 carats qui avaient été expédiés via Kinshasa puis Doubaï à Kardiam, société sise à Anvers (Belgique), qui est la succursale belge de la société centrafricaine de commercialisation de diamants, Badica.
Le Groupe d’experts pense que certains diamants saisis en Belgique provenaient de Sam-Ouandja et de Bria (préfecture de la Haute-Kotto) dans l’est du pays, où les forces de l’ex-Séléka prélèvent des taxes sur les aéronefs qui transportent des diamants et reçoivent des collecteurs de diamants des paiements en échange d’une protection. Les membres de groupes associés au mouvement anti-balaka sont, quant à eux, impliqués dans la production artisanale de diamants autour de Berberati et de Carnot (préfecture de la Mambéré-Kadéï) dans l’ouest. Même s’ils sont souvent sortis clandestinement du pays, ces diamants entrent aussi dans le circuit de commercialisation officiel, si bien que le principal bureau d’achat, la Sodiam, a dû prendre des mesures pour combattre ce phénomène.
Le trafic d’or centrafricain, estimé à environ 2 tonnes par an, passe principalement par le Cameroun. Participent à ce trafic des collecteurs de Yaloké (préfecture de l’Ombella-Mpoko) et de Boda (préfecture de la Lobaye) qui se sont enfuis au Cameroun pour échapper aux attaques inspirées par des motifs religieux que des groupes anti-balaka mènent depuis janvier 2014 et qui ont abouti à leur prise de contrôle des mines d’or artisanales aux alentours de Yaloké. À Ndassima, près de Bambari (préfecture de la Ouaka), les forces de l’ex-Séléka perçoivent environ 150000 dollars par an de taxes sous forme de production d’or locale, qui est estimée à 180 kilogrammes par an. Un même montant est prélevé sur les ventes de café de Bambari au Soudan. Ces systèmes de taxation parallèles procurent aux dirigeants de l’ex-Séléka, en particulier au général Ali Darrassa Mahamat, une source constante de revenus, qui lui permet d’assurer l’entretien des forces sur le terrain.
Le Groupe d’experts n’a pas encore constaté de violation grave de l’embargo sur les armes au profit des groupes armés, mais il n’a pas pu se rendre dans le nord-est de la République centrafricaine en raison de difficultés logistiques et des problèmes de sécurité. Il continue néanmoins d’enquêter sur les réseaux de contrebande qui fournissent des munitions de chasse aux groupes anti-balaka. Il a également recensé le premier cas où des mercenaires occidentaux fournissaient une formation et une aide à un groupe armé.
La situation humanitaire reste très précaire en République centrafricaine. Dans un pays de 4,6 millions d’habitants, 2,5 millions de personnes ont toujours besoin d’une aide humanitaire. Bien que les organisations non gouvernementales et les partenaires humanitaires internationaux aient intensifié leur présence et leurs opérations, l’insécurité, les problèmes logistiques et le manque de fonds demeurent les principaux obstacles empêchant le pays de sortir de la situation d’urgence humanitaire dans laquelle il se trouve.
Dans le présent rapport, le Groupe d’experts décrit l’évolution de la situation politique et des conditions de sécurité en République centrafricaine depuis la publication de son rapport d’activité le 1erjuillet 2014 (S/2014/452), présente de nouvelles études de cas et formule des recommandations à l’intention du Conseil et du Comité du Conseil de sécurité créé par la résolution 2127 (2013) concernant la République centrafricaine.
Le Coordonnateur du Groupe d’experts sur la République centrafricaine créé par la résolution 2127 (2013) du Conseil de sécurité(Signé) Aurélien Llorca
(Signé) Paul-Simon Handy Expert
(Signé) Ahmed Himmiche Expert
(Signé) Ruben de Koning Expert
(Signé) Carolina Reyes Aragón Experte
NDLR : La rédaction de Centrafrique-Presse publiera au fur et à mesure les principaux extraits et passages importants de cet édifiant rapport onusien qui compte un peu plus de 200 pages avec les annexes et qui éclaire d'un jour nouveau certains aspects cachés de la très complexe crise centrafricaine et lève un coin du voile sur beaucoup de ses zones d'ombres autour des différentes bandes armées et leurs différents chefs de guerre qui écument et sévissent dans ce pays.