La bénédiction du roi des Mossi, étape obligée de la transition
MARIA MALAGARDIS5 NOVEMBRE 2014 À 18:56
REPORTAGE
Burkina Faso. Le lieutenant-colonel Zida, nouvel homme fort du pays, a promis au chef traditionnel qu’il remettra le pouvoir à un civil.
Le roi des Mossi trône au centre de la salle d’audience de son palais, à Ouagadougou. Ce matin-là, c’est vers lui, le 37e Mogho Naba, que s’incline le nouvel homme fort (provisoire) du pays, le lieutenant-colonel Isaac Zida. Au Burkina Faso, tout le monde s’accorde à reconnaître que l’héritier de l’empire mossi (l’ethnie majoritaire), fondé en 1180, reste une autorité morale qu’aucun pouvoir politique ne peut ignorer.
Mercredi, trois chefs d’Etats africains - le Sénégalais Macky Sall, le Nigérian Goodluck Jonathan, et le Ghanéen John Dramani Mahama, également président en exercice de la Commuauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cédéao) - se sont déplacés à Ouagadougou pour s’assurer que les militaires en charge de la transition accepteront de céder rapidement le pouvoir aux civils, comme ils s’y sont engagés. Mais ce n’est pas un hasard, si la veille, le lieutenant-colonel Zida est allé voir le Mogho Naba. Ce dernier était certes encadré par les représentants des communautés catholique et musulmane, mais personne n’était dupe. C’est bien la bénédiction de ce petit homme rondouillard et souriant, affublé d’une toque colorée, qu’était venu chercher l’officier qui succède dans l’immédiat à Blaise Compaoré, en exil depuis le 31 octobre.
Caution. L’ampleur de l’insurrection populaire qui a embrasé le Burkina la semaine dernière et la rapidité avec laquelle le régime s’est effondré ont surpris le monde entier. Le retour au calme, ces jours-ci, est certes lié à la satisfaction de cette exigence populaire résumée sur les murs de la capitale : «Blaise, dégage !» Mais la caution de la plus haute autorité traditionnelle aux changements en cours (et au nouveau pouvoir) était incontournable. Or ce mardi matin, à la sortie de l’audience «demandée par les militaires eux-mêmes», rappelle le porte-parole du Mogho Naba (lequel ne s’adresse jamais directement à ses sujets), le message était clair : «Ils sont venus nous dire qu’ils vont remettre le pouvoir aux civils. Nous les avons encouragés à aller en ce sens.»
Le roi des Mossi ne s’était pourtant pas ouvertement manifesté pendant la crise, née de la volonté de Blaise Compaoré de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir. «En réalité, le Mogho Naba avait, en privé, plusieurs fois suggéré au président déchu de ne pas se laisser aveugler», assure le Larlé Naba. Ce dernier est le troisième dignitaire par ordre d’importance dans le «gouvernement» du Mogho Naba. Ce sémillant quinquagénaire possède lui aussi un vaste palais et une cour qu’il réunit tous les matins. Ses visiteurs s’agenouillent en principe devant lui et l’appellent «majesté». Comme le Mogho Naba, il a été appelé à cette charge en tant que fils aîné, après le décès de son père. Mais ce doux parfum d’anachronisme est aussi un faux-semblant.
«Les gens pensent souvent que les chefs traditionnels sont acquis au pouvoir en place», sourit-il avec une légère malice, assis dans sa vaste concession. «Mais quand l’ambition du pouvoir est en décalage avec les attentes du peuple, les autorités traditionnelles ont le devoir de réclamer le changement», ajoute celui qui a longtemps été membre de la formation politique de Blaise Compaoré. Il avait même été élu député. Mais en janvier, il a quitté le parti comme l’Assemblée, inquiet de la dérive du régime. Avec l’appui tacite de son roi. «Je suis le seul député du parti au pouvoir à avoir démissionné et dit la vérité à Blaise», affirme-t-il aujourd’hui, avec une pointe de fierté. Mais il l’a payé cher : le 15 juillet, une bombe explosait devant son palais, faisant cinq morts. Il n’y a jamais eu d’enquête.
Microcrédit. Aujourd’hui le Larbé Narba est revenu à ses nombreux projets : des plantations d’arbres aux vertus pharmacologiques, le biocarburant, le microcrédit pour les femmes, etc. Désormais membre d’un parti d’opposition, il a été approché pour participer à la transition. Refus poli : «Il y a dans ce pays suffisamment d’élites patriotes et compétentes.»
En attendant, le Burkina Faso est toujours à la recherche de son homme providentiel, un civil pour succéder aux militaires… qui devra passer à son tour devant le Mogho Naba.
Envoyée spéciale à Ouagadougou Maria Malagardis
Burkina: fin de la réunion à Ouagadougou, transition d'un an, élections d'ici novembre 2015
Ouagadougou - AFP / 05 novembre 2014 23h54 - Les parties prenantes de la crise au Burkina Faso ont convenu mercredi d'une transition d'un an jusqu'à des élections en novembre 2015, sans s'accorder sur le nom du chef de cette transition, selon le communiqué final d'une journée de négociation.
Partis politiques, société civile, dirigeants religieux et traditionnels ainsi que forces armées se sont accordés sur un gouvernement de transition pour une période d'un an et l'organisation d'élections présidentielles et législatives d'ici novembre 2015, selon ce texte lu à l'issue des tractations menées à Ouagadougou sous l'égide des présidents ghanéen, sénégalais et nigérian.
Toutes les parties, qui se sont entendues sur le rétablissement de la Constitution (suspendue par l'armée), veulent également qu'une éminente personnalité civile soit nommée pour présider la transition, précise le communiqué.
Elles n'ont toutefois pu se mettre d'accord sur l'identité de cette personnalité, lors de cette journée de discussions avec le président ghanéen John Dramani Mahama et ses homologues sénégalais, Macky Sall, et nigérian, Goodluck Jonathan, venus à Ouagadougou en médiateurs au nom de la Cédéao, la Communauté des Etats de l'Afrique de l'Ouest.
Notre intention n'était pas de ramener des noms au sommet de la Cédéao, qui se réunit jeudi et vendredi à Accra sur la crise burkinabè, et dont le chef de l'Etat ghanéen est actuellement le président.
Cette décision appartient au peuple du Burkina Faso, a-t-il dit lors d'une brève conférence de presse ajoutant c'est à eux de décider.
D'ici quelques jours plutôt que quelques semaines, nous pourrons parvenir à un accord et installer un gouvernement de transition, a espéré John Dramani Mahama.
Sous forte pression internationale, l'homme fort de la transition burkinabè, le lieutenant-colonel Isaac Zida, s'est engagé mardi à remettre aux civils les rênes du pays.
M. Zida a été désigné comme chef du régime intérimaire par l'armée après la chute du président Blaise Compaoré, renversé le 31 octobre par une insurrection populaire après 27 ans de règne .
(©)
Burkina: arrestation du chef du parti de l'ex-président Compaoré
Ouagadougou - AFP / 05 novembre 2014 19h28 Assimi Kouanda, le chef du parti du président burkinabè déchu Blaise Compaoré, a été arrêté mardi soir, a-t-on appris mercredi de sources sécuritaires.
M. Kouanda, secrétaire exécutif national du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), et Adama Zongo, le président d'un mouvement pro-Compaoré, ont été convoqués par la gendarmerie suite à des propos pouvant troubler l'ordre public et appelant à des manifestations, a déclaré à l'AFP un officier de gendarmerie.
Ils ont ensuite été arrêtés, a indiqué une autre source sécuritaire.
M. Zongo est le président de la Fédération associative pour la paix avec Blaise Compaoré, un mouvement de la société civile qui soutenait l'ex-président, renversé par une insurrection populaire le 31 octobre.
L'interpellation de M. Kouanda serait en partie liée à des propos qu'il avait tenus fin octobre, à quelques jours de l'insurrection, a précisé le gendarme.
Le dossier des deux hommes a été transmis au procureur du Burkina Faso, d'après cette source.
Si une seule case d'un militant de la majorité est enflammée, normalement dans vos communes, dans vos secteurs, on ne devrait plus trouver une case de responsables de l'opposition debout, avait lancé le 25 octobre M. Kouanda à des responsables provinciaux du CDP réunis à Ouagadougou.
Si quelqu'un se hasarde à toucher à une de vos mamans ou de vos soeurs, un de vos papas ou de vos grand-frères, (...) cette personne-là ne touchera plus à personne, avait-il menacé.
Cette harangue fut l'une des plus violentes d'une guerre des mots intervenue entre majorité et opposition d'alors, quand les deux camps s'affrontaient au sujet d'une réforme de la Constitution devant permettre au président Compaoré de se maintenir au pouvoir.
Le soulèvement de la rue le jour prévu du vote par les parlementaires a conduit à la démission de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 27 ans.
Mardi, Amadou Dabo, un responsable du Front républicain, coalition de partis alliés au CDP, s'était plaint de problèmes sécuritaires. Beaucoup de nos responsables sont menacés, certains de leurs domiciles ont été saccagés, avait-il déploré.
(©)
Burkina: crise de nerfs entre camp Compaoré et ex-opposition dans les négociations
Ouagadougou - AFP / 05 novembre 2014 21h37 - Des incidents ont éclaté mercredi soir lors des négociations devant aboutir à une transition démocratique au Burkina Faso, menées par trois chefs d'Etat ouest-africains après la chute du président Blaise Compaoré le 31 octobre.
Alors que tous les acteurs devaient se réunir pour une séance plénière pour tenter de dégager un consensus dans l'hôtel de Ouagadougou abritant les discussions, les représentants de la société civile ont quitté la salle, demandant l'exclusion des membres de l'ex-majorité du président déchu.
On ne veut pas de la présence de la majorité !, ont crié les représentants de la société civile.
Des membres de l'opposition leur ont emboîté le pas.
Les esprits s'échauffant, le service d'ordre a dû intervenir.
Nous n'avons pas encore enterré nos morts et voilà qu'on remet en selle des gens qui étaient arrogants et qui narguaient le peuple, a lancé Luc Marius Ibriga, porte-parole de la société civile, refusant de s'asseoir à la même table que les responsables de l'ex-majorité.
Ces gens (...) devraient être jugés pour la mort de nos camarades, au lieu de venir à la table de négociation a accusé Mathias Tankoano, responsable d'une ONG de défense des droits de l'Homme.
Nous ne voulons pas discuter avec la majorité. Ce sont eux qui représentent Blaise Compaoré, a déclaré Rose-Marie Compaoré, présidente du groupe parlementaire de l'Union pour le progrès et le changement, le principal parti d'opposition, dirigé par Zéphirin Diabré.
Les contestataires ont finalement accepté de revenir dans la salle, mais ce sont alors les membres de l'ex-majorité qui ont refusé de siéger.
La séance plénière n'avait toujours pas commencé mercredi vers 20 heures (heure locale et GMT).
Blaise Compaoré a été chassé par une insurrection populaire le 31 octobre après 27 ans de règne.
L'armée s'est portée au pouvoir, mais le nouvel homme fort du pays, le lieutenant-colonel Isaac Zida, a accepté l'idée de passer le flambeau aux civils dans les 15 jours.
Le président ghanéen John Dramani Mahama et ses homologues sénégalais, Macky Sall, et nigérian, Goodluck Jonathan conduisent les négociations en vue d'une transition démocratique.
(©)
Au Burkina Faso, l’ascension éclair du lieutenant-colonel Isaac Zida
LE MONDE | 05.11.2014 à 12h01 • Mis à jour le 05.11.2014 à 14h37 |Par Cyril Bensimon (Ouagadougou, envoyé spécial)
« Son Excellence le chef de l’Etat du Burkina Faso » est une énigme et son sourire en coin vissé au bord des lèvres ne fait qu’entretenir le mystère. Depuis son pronunciamiento du vendredi 31 octobre, le lieutenant-colonel Yacouba Isaac Zida multiplie les déclarations de bonnes intentions à chacune de ses sorties. L’officier, qui n’a pas quitté sa tenue de combat, jure que son ambition n’est pas de confisquer l’insurrection populaire qui a chassé Blaise Compaoré du pouvoir et ne cesse de répéter que son intention est de remettre les clés du pays aux civils « dans les plus brefs délais ».
Il semble cependant prendre goût aux charmes de sa nouvelle fonction. Sa prise du pouvoir n’a pas encore une semaine et son maintien à la tête de l’Etat ne durera peut-être que quelques jours, mais le cortège de véhicules tout-terrain rutilants qui démarrent en trombe, sa garde de bérets rouges qui s’empressent de chasser les malotrus qui foulent le tapis rouge démontrent que le lieutenant-colonel Zida n’a pas tardé à revêtir certains des attributs propres à sa nouvelle fonction.
A la lecture de son curriculum vitae, l’on apprend que ce galonné à la carrure massive fêtera dans quelques jours ses 49 ans, qu’il a été formé aux opérations antiterroristes aux Etats-Unis, au renseignement à Taïwan, qu’il a servi dans les forces des Nations unies en République démocratique du Congo, ou bien encore qu’il a une très bonne connaissance des logiciels Word et Excel. Ce que ne dit pas ce polycopié de trois pages, c’est sa proximité avec le chef d’état-major particulier de Blaise Compaoré, le général Gilbert Diendéré, l’un des personnages-clés de l’ancien régime burkinabé.
Avant de s’autoproclamer chef de l’état, le lieutenant-colonel Zida était le second du général Diendéré dans le régiment de sécurité présidentielle (RSP). Cette armée dans l’armée, dévouée à la défense du pouvoir défunt, s’est imposée aux autres corps militaires en profitant du rapport de forces. Le chef d’état-major des armées, Nabéré Honoré Traoré, qui par deux fois a revendiqué le pouvoir, s’est aussitôt couché lorsque le numéro deux du RSP a fait sa déclaration. En bon soldat, celui-ci savait qu’il était inutile de résister à l’unité la mieux dotée et la plus aguerrie du pays.
« Zida, c’est le système Compaoré sans Compaoré »
Selon plusieurs sources, le général Diendéré, qui n’a pas quitté Ouagadougou, demeure dans l’ombre le maître du jeu et lui-même admet : « On est en train de gérer la situation. » « Zida, c’est le système Compaoré sans Compaoré », s’agace Sidiki Dermé, le coordonnateur des organisations civiles pour l’alternance. « Rien ne dit que Blaise Compaoré est derrière lui, mais rien ne dit le contraire », ajoute avec malice Salif Diallo, qui fut des années durant l’un des piliers du régime avant de rompre.
Si comme le signale l’un des membres de son entourage, le nouvel homme fort a retenu les préceptes édictés par Thomas Sankara, capitaine révolutionnaire et icône nationale, qui estimait « que tout militaire sans culture politique est un criminel en puissance », il n’ignore rien également des pressions internationales qui s’exercent sur lui. Les Etats-Unis, puis la France, ont fait part de leur volonté de voir le pouvoir transféré entre les mains des civils. L’Union africaine a fait passer lundi le même message en l’assortissant d’un ultimatum de quinze jours et de menaces de sanctions« que le pays ne pourrait pas supporter », selon l’opposant Bénéwendé Sankara. Mercredi matin, trois chefs d’Etat de la région, le Nigérian Goodluck Jonathan, le Ghanéen John Dramani Mahama et le Sénégalais Macky Sall, étaient attendus à Ouagadougou pour, selon une source diplomatique occidentale, « aider à la sortie rapide du lieutenant-colonel Zida ».
Aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est au sein de l’opposition que les paroles les plus amènes sont prononcées à l’égard de cet officier subitement sorti de l’ombre. Salif Diallo le considère comme « un monsieur très honnête, travailleur et humble ». Ce fin connaisseur des rouages de l’Etat ne voit pas l’armée s’accrocher au pouvoir dans le contexte actuel mais considère, à l’instar des autres opposants, que celle-ci devra assumer un rôle dans le processus de transition. Puis il conclut que « si quelqu’un veut confisquer la victoire du peuple, son départ sera plus rapide que celui de Blaise Compaoré. La lame de fond démocratique qui vient de s’implanter est indestructible ».
Cyril Bensimon (Ouagadougou, envoyé spécial)
Journaliste au Monde