LE MONDE 15.09.2014 à 12h06 • Mis à jour le 15.09.2014 à 19h00 |
Cyril Bensimon et Alexandra Geneste (New York, Nations unies, correspondante)
Bangui assiste depuis plusieurs jours au grand ballet logistique propre au déploiement des missions des Nations unies. Les véhicules tout-terrain frappés du sigle « UN » et les contingents asiatiques débarquent peu à peu. En deux décennies marquées par un enchaînement de putschs, de mutineries et de rébellions ayant entraîné une déliquescence de l'Etat, la République centrafricaine (RCA) a déjà vu passer une dizaine de missions internationales chargées de l'accompagner vers une sortie de crise. Misab, Minurca, Fomuc, Fomac, Micopax, pour ne citer que quelques-uns des acronymes des forces africaines ou de l'ONU qui se sont succédé et n'ont pas su briser la spirale mortifère.
La tâche incombe désormais à la la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation en République centrafricaine (Minusca) de « protéger la population, appuyer le processus politique et contribuer à la restauration de l'Etat ». C'est l'ambition affichée par son chef, le Sénégalais Babacar Gaye, mais au sein même de son entourage des voix se font entendre pour modérer les attentes. « Il y a beaucoup de gesticulations. Il faut se battre pour récupérer des troupes, des équipements. Rien n'est prêt », déplore un fonctionnaire international, qui espère que la Minusca « aura fait le plein » en décembre.
CHANGEMENT DE COULEUR DE CASQUES ET DE BÉRETS
Le passage de relais de la force de l'Union africaine (Misca) à la Minusca, effectué lundi 15 septembre, s'apparente dans les faits à un changement de couleur de casques et de bérets. Une compagnie du génie indonésienne, des militaires bangladais et marocains ont déjà été déployés mais, pour l'essentiel, les troupes seront issues des mêmes contingents africains.
L'objectif du Conseil de sécurité est de porter les effectifs à 12 000 hommes mais, pour l'heure, la force doit se contenter d'environ 7 600 militaires et policiers. Elle sera appuyée par quelque 2 000 soldats français de l'opération « Sangaris », dont les effectifs ne diminueront pas avant la fin de l'année et qui devront servir de « force de réaction rapide », ainsi que par les 700 militaires et policiers européens de l'Eufor, dont la mission doit s'achever fin 2014.
« Les Etats européens refusent de s'engager pour de bon, le Cameroun ne fait rien pour faciliter le transfert de nos ravitaillements, certaines troupes africaines, comme celles de Guinée équatoriale, ne sont pas au format requis par l'ONU ou n'ont pas les critères moraux pour être dans la Mission. Je crains que l'on fasse beaucoup de bruit pour rien », se désole un membre de la mission onusienne. Du ménage a été fait avant le transfert de responsabilité.
Dix-sept policiers de la République démocratique du Congo « impliqués dans de graves violations des droits de l'homme » ont été sortis in extremis du dispositif, révèle une source proche du dossier. Certains des membres de cette unité d'élite de la police congolaise « auraient participé dans leur pays à des opérations plus que douteuses », poursuit cette source.
Reste que la communauté internationale s'engage une fois de plus à reculons en RCA, alors que les urgences demeurent patentes. En dépit des promesses de paix signées le 23 juillet à Brazzaville, les groupes politico-militaires (ex-Séléka et anti-balaka) n'ont pas encore rendu les armes. Nombre de combattants attendent de toucher des dividendes d'un nouveau processus de désarmement mais, selon plusieurs sources, les durs de l'ex-Séléka se sont rééquipés ces derniers mois.
« SI NOUS NE SOMMES PAS ENTENDUS, ON COUPE LE PAYS »
Depuis le nord-est du pays, où il s'est retranché, leur chef de file, le général Noureddine Adam, continue de brandir le spectre de la sécession si les principaux postes de décision du gouvernement ne reviennent pas à ceux qu'il aura adoubés. « Si nous ne sommes pas entendus, on coupe le pays », affirme-t-il. Alors qu'une partition de fait s'est installée le long d'une ligne nord-sud, il y a un mois, les anciens rebelles ont annoncé, dans un communiqué, la création de leur nouvel Etat, le Dar El-Kouti, en référence à un sultanat du XIXe siècle, avant de faire machine arrière.
A Bangui, le processus politique n'avance guère. La désignation d'un nouveau premier ministre, Mahamat Kamoun, en août, a tendu les relations entre la présidente de transition, Catherine Samba-Panza, et les puissances tutélaires de la Centrafrique (Congo-Brazzaville, Tchad et France), qui s'attendaient à un autre choix.
Les futures élections présidentielles et législatives, prévues en février 2015, sont déjà oubliées, mais l'ancien premier ministre Martin Ziguélé considère que la priorité est désormais de « fixer une date butoir » pour ces scrutins. Une prolongation indéterminée de la transition inquiète plusieurs observateurs. « L'organisation des élections n'équivaut pas à une sortie de crise », prévient cependant International Crisis Group. L'organisation non gouvernementale considère « indispensable de ressusciter l'Etat centrafricain comme acteur » et invite la communauté internationale à ne pas répéter les erreurs du passé en ne traitant pas « la principale cause de la crise : la prédation structurelle » des élites locales.