http://observers.france24.com/ 07/04/2014 / CENTRAFRIQUE
Le Cameroun est confronté à un important afflux de réfugiés centrafricains, pour la plupart des musulmans qui fuient les représailles des milices anti-Balakas. Des réfugiés qui passent souvent de longues semaines sur la route, dans le plus grand dénuement, avant d’atteindre la frontière.
D’après les Nations unies, plus de 130 000 personnes en provenance de la République centrafricaine ont trouvé refuge sur le sol camerounais entre décembre 2013 et mars 2014. La majorité d’entre eux arrivent dans un état d’épuisement et de malnutrition, comme en témoigne cette vidéo mise en ligne par le Haut-commissariat pour les réfugiés (HCR) des Nations unies.
"Ils s’étaient nourris principalement de feuilles"
Ces images ont été tournées le 29 mars dernier par le Dr Paul Spiegel, expert médical du HRC, près du village camerounais de Gbiti, sur la rivière Bombé, qui sépare le Cameroun et la Centrafrique à cette section de la frontière.
J’ai vu une soixantaine de personnes traverser la rivière ce jour-là. Il s’agissait en majorité de femmes et d’enfants. La plupart marchaient depuis deux ou trois mois et certains arrivaient même de Bangui. C’était un voyage très épuisant pour eux car ils devaient se cacher des milices anti-Balakas en permanence, même la nuit, ce qui les a obligés à faire de nombreux détours.
Beaucoup avaient les genoux gonflés par les heures de marches qu’ils avaient dû effectuer, et cela contrastait avec le reste de leurs jambes qui étaient extrêmement maigres. Ca m’a beaucoup marqué parce qu’en tant que médecin, ce n’est pas quelque chose que je vois tous les jours. Ces personnes avaient notamment rencontré beaucoup de difficultés pour trouver de l’eau et de la nourriture et ils s’étaient nourris principalement de feuilles.
Je me souviens notamment d’une femme qui était accompagnée de trois ou quatre enfants, dont l’un montrait des signes graves de malnutrition. Elle avait beaucoup de mal à traverser la rivière, alors nous avons dû l’aider. Elle avait l’air complètement épuisée et souffrait de diarrhée. Nous l’avons donc directement envoyée à l’hôpital pour qu’elle puisse être soignée de toute urgence.
Beaucoup de ces réfugiés étaient partis avec toute leur famille et leur bétail, mais ils ont perdu beaucoup de monde en route. Certains ont été tués et d’autres ont été égarés en chemin. De nombreux enfants sont donc arrivés seuls à la frontière et il va être important de travailler pour réunir ces familles qui ont été dispersées.
"Tous les réfugiés sont partis après avoir eu vent de l’arrivée imminente des anti-Balakas"
À l’origine formées en province en tant que groupes d’auto-défense villageois, les milices anti-Balakas cherchent à se venger des atrocités commises par les rebelles de la Séléka, composés essentiellement de musulmans. Depuis que ces derniers ont été chassés du pouvoir en janvier dernier, les miliciens anti-Balakas sont accusés d’avoir multiplié les exactions à l’encontre des civils musulmans qu’ils traquent à travers tout le pays. Roger [pseudonyme], l’un de nos Observateurs à Gamboula, une ville centrafricaine à la frontière avec le Cameroun, a lui aussi vu passer le flot de réfugiés.
Il y a environ un mois et demi, des réfugiés cherchant à gagner le Cameroun sont arrivés en grand nombre dans ma ville. Ils venaient principalement de Baoro ou de Carnot, mais il y en a qui venaient de beaucoup plus loin. Une femme de Bossembélé, qui venait de perdre son mari, avait fait une semaine de route pieds nus à travers la brousse avec ses deux enfants. Elle est arrivée affamée et elle a été accueillie par un centre de missionnaires situé à quelques kilomètres du centre-ville.
Puis il y a deux semaines, tous les réfugiés sont partis précipitamment après avoir eu vent de l’arrivée imminente des anti-Balaka. Quand ces derniers sont arrivés, ils n’avaient donc plus aucune personne à attaquer. Ils se sont alors rabattus sur une voiture du centre missionnaire qui transportait les bagages de certains réfugiés. Des coups de feu ont été tirés en l’air, mais je crois que les prêtres sont finalement parvenus à calmer les miliciens.
Depuis, les musulmans qui cherchent à traverser la frontière ne transitent plus par Gamboula. Ils évitent également les grandes routes et préfèrent passer par de petits sentiers dans la brousse pour ne pas être repérés avant d’arriver à la rivière Kadeï, qu’ils doivent traverser pour rejoindre le Cameroun. Beaucoup se dirigent ensuite vers des camps de réfugiés à Kenzou ou Lolo [situées à respectivement 15 et 40 kilomètres de Gamboula].
Selon Djerassem Mbaiorem, porte-parole du HCR au Cameroun, les réfugiés qui parviennent à franchir la frontière s’installent ensuite dans des mosquées, dans des stades ou juste sous des arbres. Pour faire à cette situation de plus en plus alarmante sur le plan humanitaire, le HCR évalue à 81 millions d’euros la somme nécessaire pour financer ses opérations auprès des réfugiés centrafricains.