INTERVIEW - Si la situation sécuritaire n’est encore pas rétablie en Centrafrique, la reconstruction du pays mobilise déjà les donateurs internationaux. En déplacement vendredi à Bangui, le ministre délégué au Développement, Pascal Canfin, évoque l’enjeu de l’aide française.
Plus de trois mois après le début de l’opération Sangaris en Centrafrique, quel est le message que vous adressez aux autorités de transition?
Que la France est totalement mobilisée. Et, au-delà, que la communauté internationale est également mobilisée. Il y a eu en janvier un engagement à Bruxelles de la part de l’Union européenne pour allouer 500 millions de dollars à la Centrafrique. C’est la première fois que la nouvelle présidente de transition rencontre en même temps les grands donateurs internationaux - France, Allemagne, Union européenne.
Cet argent a-t-il été versé?
Seule 15% de cette somme a été versée. Mais pour que la majeure partie de cette enveloppe puisse être distribuée, il faut restaurer les canaux financiers. C’est précisément le moment pour le faire. Il faut que nous changions d’échelle.
La Centrafrique aura-t-elle besoin d’aides supplémentaires au développement?
Ces 500 millions de dollars sont à rapporter aux 200 millions du budget de l’Etat centrafricain pour 2014, c’est donc déjà beaucoup. L’enjeu aujourd’hui n’est pas tant de remobiliser des fonds supplémentaires, que de mettre en place des dispositifs qui vont permettre de dépenser l’argent. Tout est à refaire. Pour les semences, par exemple, il s’agit bien sûr de les acheter mais surtout d’en acheminer à Bangui puis dans les villages qui en ont besoin. De même, pour qu’il y ait des douanes, encore faut-il que la sécurité soit rétablie aux frontières.
«Un risque de famine en Centrafrique dans trois à six mois.»
Ces efforts financiers pourront donc être vains si la question sécuritaire n’est pas réglée…
Nous avons une équation simple : pas de développement possible sans sécurité et, dans la durée, pas de sécurité sans développement. Si nous ne sommes pas en capacité de restaurer la sécurité sur les grands axes du pays, il faudra dépenser beaucoup plus d’argent. D’où l’importance de mobiliser la communauté internationale, c’est ce que nous faisons.
Est-ce que la France ne reste pas davantage dans l’incertitude tant que le déploiement de la force de maintien de la paix de l’ONU, envisagé en septembre, n’a pas eu lieu?
Nous aurions voulu cette force avant l’été, mais nous ne sommes pas seuls à décider. Elle aura lieu finalement en septembre. J’espère que ce ne sera pas trop tard.
Mais la responsabilité de la France est énorme dans la reconstruction de la Centrafrique…
La responsabilité de la France est énorme mais partagée. Il serait faux de laisser penser que seule la France pourrait régler tous les problèmes. La France est aujourd’hui le premier pays bailleur de fond, mais elle ne représente que 10% des 500 millions de dollars d’aides publiques pour l’humanitaire et le développement. Nous sommes en première ligne, en position de leader, mais surtout pas d’isolement.
Existe-t-il une "catastrophe humanitaire" aujourd’hui en Centrafrique?
Certains des indicateurs vont dans le bon sens. Il y a moins de déplacés à l’intérieur du pays. Il y a moins de meurtres à Bangui. En revanche, il y a aujourd’hui un risque extrêmement important sur la sécurité alimentaire. Une grande partie de la population ne bénéficie que d’un seul repas par jour. Si nous ratons dans les prochaines semaines, avec le début de la saison des pluies, la distribution des semences et de l’aide alimentaire, nous aurons un véritable risque de famine dans trois à six mois. C’est une course contre la montre.
Arnaud Focraud - leJDD.fr
samedi 15 mars 2014
Source : http://www.lejdd.fr/Politique/Canfin-En-Centrafrique-la-France-a-une-responsabilite-enorme-657196