http://www.metronews.fr/ 27-02-2014 14:56
REPORTAGE - Malgré la présence de 8000 soldats africains et français, la capitale de la Centrafrique est toujours sporadiquement secouée par les violences. Mercredi, de nouveaux meurtres ont ainsi mis le feu à deux quartiers. Récit d'une journée dramatiquement ordinaire.
À Bangui, quand on se téléphone, on ne dit pas : "T'es où ?" On dit : "Ça tire ?" tant la vie de la capitale centrafricaine, presque trois mois après le début de l'intervention française pour mettre fin aux tueries interreligieuses, reste rythmée par les violences.
Tôt mercredi matin, la vie semblait pourtant presque avoir repris son cours normal sur l'artère principale du grand quartier commerçant, PK-5 (depuis son point zéro, au sud, jusqu'à sa limite nord, les "points kilométriques" donnent leur nom à différents quartiers de la capitale). Presque, car si les passants y déambulent de nouveau, de nombreuses maisonnettes éventrées, voire noircies par les flammes, témoignent des mois sombres que le quartier vient de subir. Les pillages et massacres successifs en ont chassé les musulmans, qui tenaient la plupart des échoppes. Et malheur à l'un d'entre eux qui s'y aventurerait aujourd'hui.
Un chrétien vient de se faire trancher les mains
Justement, en milieu de matinée, premier coup de fil, première alerte : "ça tire". Un homme aurait été égorgé à PK-5, déclenchant de nouveaux affrontements. Tandis que les kalachnikov crépitent, la zone est évacuée par les humanitaires. A 13 heures, nouvel appel. Cette fois, la situation dégénère à sept kilomètres plus au nord, à PK-12. Un chrétien vient de se faire trancher les mains, avant d'être achevé. Dans un nouvel accès de fièvre, des hommes de sa communauté entreprennent de se venger sur le ressortissant d'une enclave musulmane : lui aura le bras coupé. C'est l'engrenage, rafales et explosions. En à peine cinq heures, Bangui est retombée aux mains de ses démons.
Il y a quelques jours, le chef de la mission française Sangaris, le général Francisco Soriano, assurait pourtant au Journal du dimanche que les violences avaient "radicalement diminué" : "Nous sommes passés sur notre zone d'action d'une soixantaine d'événements (tentatives de lynchage ou de meurtre, agressions) par jour à deux ou trois fois moins". "Les violences ont changé de nature, confirme pour metronews Christophe Gargot, chef de la mission Médecins du monde (MDM) sur place. Elles ne sont plus globales, bloc contre bloc, mais sporadiques et visent des individus".
"On est obligés de dormir debout"
La population, elle, se soucie peu des statistiques et ne voit qu'une chose : la mort qui rôde toujours. Avec sa famille, Apollinaire s'est réfugié le 5 décembre, jour du début de l'intervention française, dans l'immense camp de déplacés de M'Poko, jouxtant l'aéroport. Les affrontements entre chrétiens et musulmans avaient alors tourné au jeu de massacre. Aujourd'hui, le terrain de l'ancien aérodrome accueille environ 70.000 Banguissois réfugiés à quelques kilomètres, voire quelques centaines de mètres de chez eux. Tous sont chrétiens. Depuis la déroute de l'ex-rébellion musulmane Séléka, on pourrait penser qu'ils auraient repris le chemin de leur foyer. Il n'en est rien. "C'est toujours trop dangereux", explique Apollinaire.
Depuis trois mois, sa femme et ses six enfants - âgés de 10 mois à 7 ans - vivent donc avec lui sous une bâche. Dans des conditions plus que précaires : "Quand il pleut, l'eau monte tellement dans notre abri qu'on est obligés de dormir debout toute la nuit, avec les enfants". Or, d'intenses pluies d'orages annoncent déjà la fin de la saison sèche. Mais s'il retourne régulièrement s'assurer que les pillards n'ont pas fait un sort au domicile familial, pas question pour Apollinaire de revenir s'y installer : il jouxte PK-5. M'Poko vaut toujours mieux que la mort, les jours s'en vont, il demeure.
THOMAS VAMPOUILLE, À BANGUI