http://afrique.kongotimes.info/ 26/01/2014 06:36:00
Le coup d’Etat de la coalition rebelle Seleka (Alliance) ne fut pas le premier qu’ait connu la République Centrafricaine (RCA). Elu président de la république, le premier prêtre catholique du pays, Barthélemy Boganda, n’avait pas eu le temps d’exercer le pouvoir. Il était mort dans un accident d’avion dont les causes restent à élucider et cela avant l’indépendance, survenue le 13 août 1960. Sa mort plongea la RCA dans une lutte de succession qui propulsa son cousin David Dacko au sommet de l’Etat, à 29 ans, tandis que le rival de ce dernier, Abel Goumba, prenait le chemin de l’exil. Le 31 décembre 1965, Dacko était renversé par Jean-Bedel Bokassa, neveu de Boganda qui instituera l’Empire Centrafricain en 1977. En septembre 1979, Dacko prenait sa revanche, conduit à Bangui dans les wagons du néocolonialisme français, à la suite de l’opération barracuda. Il fut renversé une deuxième fois par le général André Kolingba en septembre 1981. Celui-ci restera au pouvoir jusqu’à ce que souffle le vent de La Baule qui hissera démocratiquement Ange-Félix Patassé à la présidence de la république. La démocratie partisane et conflictuelle conduisant tout droit à l’autocratie tout en légitimant la révolte et les coups de force, l’autocrate Patassé fut renversé par le général François Bozizé le 15 mars 2003. Cependant, les deux élections présidentielles de 2005 et 2011 n’ont rien changé quant à la gouvernance du pays. Le 24 mars 2013, Bozizé était renversé à son tour. Contrairement à ses prédécesseurs putschistes, Michel Djotodia, le tombeur de Bozizé, n’a pas imposé sa volonté à ses compatriotes pendant longtemps. Le 10 janvier 2014, il était poussé à la démission. Comment expliquer un règne aussi éphémère ?
Jugement de valeur versus realpolitik
Le coup d’Etat de Seleka est intervenu après l’entrée en vigueur de la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la bonne gouvernance, le 15 février 2012. Cette convention se dresse entre autres contre les changements anticonstitutionnels de gouvernement et les révisions constitutionnelles à des fins personnelles. Pour être crédible, l’Union Africaine n’avait d’autre choix que de ne pas reconnaître les nouvelles autorités centrafricaines. Confrontée à ce jugement de valeur et à la débandade des forces de sécurité et de défense du régime Bozizé ou au fait accompli, c’est-à-dire la réussite du cinquième coup d’Etat du pays en cinq décennies d’indépendance, la Communauté Économique des États d’Afrique Centrale (CEEAC) se devait de trouver un juste milieu. Les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC ont alors tenu deux sommets extraordinaires à N’Djamena, le 4 et 18 avril 2013, afin de donner une certaine légitimité aux nouveaux maîtres de la RCA. Il a été décidé que l’Accord de paix de Libreville de janvier 2013 devait servir de socle à une nouvelle transition de 18 à 24 mois. Les acteurs clés de cette transition, à savoir le chef de l’Etat, le premier ministre, les membres du gouvernement, le président du Conseil National de Transition (CNT), de la Cour constitutionnelle de transition et de la Haute autorité des médias, institutions à créer, ne devaient pas être candidats aux prochaines élections. Conformément à l’Accord politique de Libreville, le premier ministre, issu de l’opposition dite démocratique, ne devait pas être démis de ses fonctions par le Chef de l’Etat. Il était interdit à celui-ci de porter le titre de président de la république. Son titre officiel devait être chef d’Etat de la transition. Mieux, il devait être élu par le CNT. Cette institution était chargée de rédiger et d’adopter d’abord une charte constitutionnelle de transition et ensuite un projet constitutionnel à soumettre au référendum avant la tenue des élections législatives et présidentielles. La CEEAC avait même retenu la feuille de route issue des négociations de paix de Libreville entre la majorité présidentielle de Bozizé, Seleka, l’opposition dite démocratique, la société civile et les groupes politico-militaires qui n’avaient pas pris part à la saga Seleka. Cette feuille de route prévoyait entre autres la mise en place d’un processus de DDRR, c’est-à-dire démobilisation, désarmement et réintégration, pour tous les rebelles centrafricains, et retour pour les combattants étrangers, et une réforme du secteur de sécurité (RSS), le tout avec l’aide de la communauté internationale.
Appétit de domination
Djotodia et les siens avaient accepté tous les arrangements institutionnels décidés par la CEEAC. Toutes les institutions de la transition avaient été mises en place. Rédigée de manière consensuelle, avec le concours des constitutionnalistes centrafricains et de leurs collègues déployés par les Nations Unies et l’Organisation Internationale de la Francophonie, la charte de transition a bétonné la non-éligibilité des acteurs clés de la transition aux prochaines élections. L’article concernant ce sujet ne peut être révisé. Mais les nouvelles autorités, qui tendaient la main à la communauté internationale pour mettre sur chantier les processus de DDRR et RSS, n’entendaient manifestement pas que celle-ci mette son expertise à leur disposition, conformément à l’esprit et à la lettre de l’Accord de paix de Libreville.
Au départ de la saga Seleka, cette coalition comptait plus ou moins 5000 combattants. A leur arrivée à Bangui, on est passé à 20000 pendant que l’armée nationale sous Bozizé ne disposait que de quelques 7000 hommes, tous en débandade, et encore moins d’effectifs dans la gendarmerie et la police, eux aussi en débandade. Les 20000 élements de Selaka provenaient de composantes suivantes : l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR), le groupe politico-militaire fondé par Djotodia, majoritairement de son ethnie Goula ; la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP-Fondamentale) du « général » Noureddine Adam, essentiellement de son ethnie Rounga ; la Convention des patriotes pour le salut du Kodro (CPSK) du « général » Moussa Dhaffane, un Fulani parfois présenté comme un Tchadien, Kodro signifiant « pays » en langue Sango ; la jeunesse désœuvrée de Bangui issue de ces trois communautés et recrutée par chacun des trois groupes après le coup d’Etat afin de renforcer la position du groupe ; les mercenaires venus surtout du Tchad et du Soudan et disposant de l’armement lourd de la coalition. On notera que la CPJP-Fondamentale et la CPSK étaient des groupes dissidents de la CPJP, fondée par un autre politicien Rounga, Charles Massi, le père du très médiatique Eric Massi, qui aurait été assassiné par le régime Bozizé.
Il n’existait aucune chaîne de commandement entre les éléments de ces différentes composantes. Chaque élément Seleka obéissait à celui qui l’avait recruté. C’est sans doute pour pallier cette situation qu’en peu de temps, Djotodia avait réussi à arrêter et jeter en prison le président de la CPSK et à faire descendre le président de la CPJP-Fondamentale de son piédestal de ministre d’Etat chargé de la Sécurité en lui indiquant une voie de garage, la présidence d’une nouvelle institution dite de la promotion des acquis démocratiques. Pendant que la communauté internationale attirait son attention sur le fait que le pays avançait droit dans le mur si les anciennes forces de sécurité et de défense ne reprenaient pas très vite du service, comme lors de tous les coups d’Etat précédents, et si les processus de DDRR et RSS n’étaient pas menés conformément à l’Accord de paix de Libreville, Djotodia, lui, proclamait urbi et orbi que la nouvelle armée nationale devait être dirigée par les éléments de Seleka quel que soit leur niveau d’éducation. Mieux, il joignait l’acte à la parole. Des incultes Seleka de rang de caporal ou soldat de 1ère et 2ème classes étaient promus au rang de colonel ou général lors des cérémonies officielles. Une société privée européenne de sécurité immatriculée en Amérique était chargée de transformer les éléments Goula de Seleka en gardes présidentiels.
Erreurs fatales
Pendant que les anciennes forces de sécurité et de défense étaient tenues à l’écart et en respect puisque désarmées, les éléments de Seleka étaient déployés à travers le territoire national pour assurer la sécurité de la population alors même que les caisses de l’Etat étaient vides. Pour survivre, les Seleka n’avaient d’autre choix que de créer l’insécurité à travers des exactions de toutes sortes dont les pillages, les tueries et autres violations graves des droits de l’homme. C’était là la marque de fabrique de la coalition depuis le début de sa rébellion.
De même que Kin-la-Belle, qui n’est en réalité que Kin-la-Poubelle, le coup d’Etat de Seleka a transformé Bangui-la-Coquette en Bangui-la-Roquette. Dans cette ville, le régime Bozizé et la coalition Seleka avaient distribué des armes à la population dans les quartiers qui leur étaient favorables. La population elle-même s’était également servie dans les casernes militaires lors de la débandade des forces de sécurité et de défense de l’ancien régime. En plus des pillages systématiques, Bangui vivait un nouveau phénomène, le banditisme armé qui allait crescendo. Les nouvelles autorités brandissaient des slogans de « Bangui ville sans armes » tout en confiant cette tache aux éléments de Seleka. Résultat, les opérations de désarmement de la population se transformaient en nouveaux pillages et nouvelles tueries.
Les éléments centrafricains de Seleka sont originaires du nord-est de la RCA et essentiellement issus de la minorité de 20 % de Musulmans que compte le pays. Les mercenaires de Seleka sont également de confession musulmane. Dans toutes les villes conquises pendant la rébellion ou occupées après le coup d’Etat, leurs pillages en règle épargnaient les quartiers musulmans qui par ailleurs servaient de lieux de stockage aux butins de guerre quand ceux-ci ne prenaient pas la direction des pays voisins. Si les élites musulmanes centrafricaines étaient marginalisées par les différents régimes, la cohabitation pacifique entre chrétiens et musulmans avait toujours été au rendez-vous de l’histoire. Le caractère sélectif des pillages, exactions, tueries et autres violations graves des droits de l’homme perpétrés par les éléments de Seleka a changé cette donne, constituant par voie de conséquence un appel vibrant à la révolte des chrétiens. Les Anti-Balaka étaient nés. L’équilibre de la terreur plongeait lentement mais sûrement le pays vers des tueries massives à caractère génocidaire entre chrétiens et musulmans. Seule une force robuste pouvait stopper cette dynamique macabre. Compte tenu de l’irresponsabilité de l’Afrique à se prendre en charge, cette force ne pouvait malheureusement pas être africaine.
Conclusion
En acceptant le cadre institutionnel décidé par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEEAC, Djotodia avait le choix entre se mettre en retrait et attendre les élections censées mettre un terme à la période de transition ou se porter candidat (unique) à l’élection du chef de l’Etat de la transition par le CNT. Il avait choisi la deuxième option tout en caressant le rêve d’être plus malin que tout le monde, obsédé qu’il était à réaliser l’unique révolution dont les Africains sont capables depuis l’indépendance : l’avènement de l’hégémonie Goula et musulmane en RCA.
Son appétit de domination a entraîné des violations graves des droits de l’homme, lui délivrant ainsi un passeport en or vers La Haye. Pour l’instant, ce passeport lui a permis d’accepter sans la moindre résistance sa démission et de faire escale au Bénin, pays d’où il était venu en 2012 pour reprendre les rênes du mouvement politico-militaire qu’il avait créé et qui en son absence avait rejoint l’Accord paix global de Libreville de 2008 entre le gouvernement Bozizé et les rébellions qui essaimaient en RCA depuis le coup d’Etat de 2003. Quand ce passeport lui permettra enfin d’atterrir à La Haye, ce qu’il faut souhaiter vivement après la réussite de la transition, il y aura des Africains pour crier à la justice des Blancs. Certes, bien de dirigeants occidentaux mériteraient qu’on leur délivre le même passeport. Mais eux au moins ne massacrent pas leurs propres citoyens.
La tenue des élections et le retour à l’ordre constitutionnel étant l’objectif de la transition, la communauté internationale devrait se rendre à l’évidence. Les élections dans le cadre de la démocratie partisane et conflictuelle ne règlent rien en Afrique. Elles permettent tout simplement un retour à la case départ pour l’instauration d’une nouvelle autocratie ou hégémonie ethnique ou régionale. Dès lors, il est impératif, puisque les Africains eux-mêmes ne s’en rendent pas compte, que la communauté internationale aide ces grands enfants à amorcer une réflexion sur les mécanismes qui conduisent à la prise en otage des instruments de la souveraineté de tout un peuple par une bande de zigomars et les moyens de conjurer les crises à répétition que cela entraîne. Car si Ange-Félix Patassé, élu démocratiquement et en toute transparence, a pu devenir un autocrate, légitimant ainsi la rébellion de François Bozizé, qui fut salué en véritable libérateur lors du coup d’Etat de 2003, rien ne permet d’espérer qu’il n’en soit pas ainsi demain.
[Mayoyo Bitumba Tipo-Tipo]
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