RFI Sonia Rolley mercredi 01 janvier 2014 à 22:42
L’Organisation internationale pour les migrants (OIM) tire la sonnette d'alarme. Près de 10 000 ressortissants tchadiens, qui vivaient en Centrafrique, sont rentrés dans leur pays ces derniers jours pour fuir les exactions dont ils étaient victimes. La plupart d'entre eux sont partis en avion. Ces évacuations avaient été organisées par le gouvernement tchadien depuis le 25 décembre, à raison de trois à six vols par jour. Ndjamena a également envoyé un convoi de camions par la route à Bangui. Quelque 2 000 autres personnes, essentiellement des femmes, des enfants et des vieillards, ont traversé la frontière à pied et ne reçoivent pour l'instant aucune assistance. Les explications du docteur Qasim Sufi, chef de mission de l'OIM à Ndjamena.
RFI : le Tchad avait déjà été confronté au retour de ses migrants de Libye pendant la guerre. C’était un afflux déjà très important. Aujourd'hui, ce sont ses ressortissants qui vivaient en Centrafrique. Cette crise est-elle aussi grave ?
Dr Qasim Sufi : Cette crise dépasse, pour nous, celle en Libye car durant la crise libyenne, l'afflux était important mais, à l'époque, nous avions quatre centres de transit pour accueillir les migrants tchadiens. Maintenant, nous avons six sites dans lesquels nous accueillons les migrants venus de RCA. Cela veut dire que le nombre de personnes qui sont revenues, et en très peu de temps, est extrêmement élevé.
Jusqu'à présent, ces personnes arrivaient à l'aéroport. On les emmène ensuite dans les centres de transit ; on les enregistre et on leur donne un peu d'assistance, de la nourriture et une assistance médicale également, car beaucoup d'entre elles sont sous le choc. Il y a aussi beaucoup de blessés. Nous sommes obligés d'en conduire certains à l'hôpital. Et après cela, la deuxième phase, c'est de retrouver leurs communautés d'origine, leurs familles.
Mais pour l'instant, ils sont très peu nombreux à avoir quitté les centres de transit. Ils sont presque pleins et ne sont pas équipés pour accueillir les gens sur la durée. Il faudrait vraiment que l'on puisse les améliorer pour qu'il y ait le minimum en termes d'hygiène et d'accès à l'eau. C'est ce que nous faisons avec évidemment les autres agences de l'ONU, les ONG, pour venir en aide au ministère tchadien des Affaires sociales qui est notamment présent dans ces centres de transit.
Pourquoi ne peuvent-ils toujours pas quitter ces centres de transit ? Est-ce que c'est difficile de trouver leurs communautés ou leurs familles d'origine?
C'était plus simple pendant la crise libyenne. Effectivement, cette fois-ci, ils restent beaucoup plus longtemps que prévu dans ces centres. Beaucoup ont quitté le Tchad depuis très longtemps, parfois depuis dix ans, mais parfois depuis beaucoup plus longtemps. Certains sont même nés en Centrafrique. Ils peuvent avoir encore des membres de famille au Tchad mais ces derniers sont parfois dans des villages éloignés et ils n'ont plus de liens avec eux.
C'était déjà un peu le cas avec ceux qui étaient rentrés de Libye. Mais là, j'ai vraiment peur qu'identifier les communautés d'origine prenne plus de temps encore car ces gens – la plupart faisait du commerce - étaient presque des citoyens centrafricains. C’est ce qu’ils nous ont expliqué dans les entretiens que nous avons menés. C'est, de loin, notre plus gros problème. Evidemment, avec le temps et des moyens financiers et humains supplémentaires, ce sont des difficultés qui peuvent être résolues. Mais il faudrait que ces moyens soient mis à disposition maintenant, sinon nos centres vont être dépassés.
Mais ce n'est pas le seul défi, car il y a aussi ceux qui arrivent à pied par la frontière. Le gouvernement tchadien est en train de chercher à les évacuer aussi par la route. Par conséquent, le nombre de personnes de retour au Tchad devrait augmenter très rapidement.
Quand vous dites que ce sont presque des citoyens centrafricains... Est-ce que le plus simple ne serait pas, pour eux, de rentrer à un moment ou à un autre en Centrafrique ? Y a-t-il un espoir?
A l'heure qu'il est, non, ce n'est pas une option. Les histoires que nous entendons sont horribles. Comme je vous le disais, nous les avons interviewés, nous leur avons demandé comment c'était avant, comment ça se passe aujourd'hui. Je me souviens d'un homme qui disait : « On vivait côte à côte avec ces gens et aujourd'hui ce sont eux qui nous chassent ». Non, vraiment, le retour n'est pas possible pour le moment. Mais le point positif, c'est que les Tchadiens s'entraident. C'est comme avoir une grande famille si vous appartenez à groupe ethnique particulier ou à une communauté.
Ce que vous espérez, c'est que toutes ces personnes qui sont rentrées soient rapidement absorbées au sein de la population locale ?
Absolument. Le gouvernement tchadien a cette politique qui dit que les Tchadiens au Tchad n’ont pas vocation à rester dans des camps. Donc l'autre manière de faire effectivement, c'est de les ramener dans leurs communautés d'origine, de retrouver leurs familles et surtout de les assister par la suite car il faut savoir que, parmi eux, il y en a aussi qui renvoyaient de l'argent au pays, devenant ainsi de véritables soutiens pour leurs familles ou leurs communautés. Or, d'un seul coup, les voilà de retour, sans rien, il n'y a pas non plus d'envoi d'argent et cela ajoute forcément un poids supplémentaire sur des communautés qui ne s'y attendaient pas. C'est un cercle vicieux et ce n'est pas un problème qui concerne simplement les migrants. Cela va au-delà, cela va toucher des régions entières.